En octobre prochain, avec la réunion mensuelle du Réseau des comités de travailleurs (qui se tiendra le mardi 4 octobre et par la suite le premier mardi de chaque mois), s’amorcera une démarche unique en son genre, qui devrait à terme être fort importante pour la suite organisée du maoïsme au Québec, et possiblement même au Canada.
Redisons en quelques mots ce que nous avons exposé dans le numéro 1 des Cahiers du Réseau : de 2016 à 2021, le Parti communiste révolutionnaire (PCR) a été successivement kidnappé et détruit par un groupe dirigeant opportuniste passé avec armes et bagages dans le camp du post-modernisme, et par une partie des opposants à ce groupe, qui se font maintenant connaître sous le nom trompeur d’« Avant-garde communiste », autre direction passagère qui a finalement choisi de sacrifier toute pratique révolutionnaire de manière à préserver son sectarisme extrême (d’essence petite-bourgeoise) et ce, en expulsant les militants-es maoïstes regroupés-es autour de la Maison Norman Béthune (MNB). Aujourd’hui le PCR n’existant plus, il ne reste que son programme, ou plutôt le document intitulé « Les bases politiques du nouveau programme du Parti communiste révolutionnaire du Canada ».
C’est autour de ce document d’une grande valeur et d’une portée vaste et généreuse (généreuse dans le sens d’offrir largement, à qui veut les saisir, beaucoup de pistes valables et de perspectives puissantes) que les militants de la MNB ont décidé de se regrouper pour lancer le Réseau des comités de travailleurs. Ces bases politiques sont en quelque sorte un heureux condensé de deux choses : l’essentiel des positions du maoïsme canadien/le PCR telles que développées dans la période de sa construction et de son implantation ; et les premiers résultats programmatiques de la lutte plus récente contre le « gauchisme littéraire » c.-à-d. le post-modernisme. Cela en fait un outil de premier ordre sur lequel y arrimer un large débat programmatique au sein du communisme révolutionnaire canadien (le maoïsme). Ce sera donc là le point de départ du Réseau des comités de travailleurs. C’est un point de départ qui s’explique de deux façons.
D’abord il y a la situation politique au sein de l’extrême-gauche. Le matérialisme-historique en est pratiquement expulsé, particulièrement en Amérique du Nord, alors qu’en parallèle s’y engouffrent des options idéologiques douteuses, imprécises et confuses. Les concepts scientifiques du marxisme sont remplacés à une vitesse folle par des notions approximatives, des systèmes de représentation inventés, voire même par de simples mots sans arrière-fond ni réalité. Dans l’extrême-gauche actuelle, le vocabulaire travaille plus que les forces révolutionnaires ! Ce faisant, privé de scientificité, le changement historique, que nous concevons comme la transition socialiste vers le mode de production communiste (la société communiste) a été remplacé par ce qui est l’équivalent d’un magasin aux utopies où chacun vend son alternative, son option, ses espérances et ses désirs. La transformation de la société actuelle (qui selon nous passe par la lutte des classes contre la propriété capitaliste des moyens de production et contre tout l’édifice bourgeois qui s’est érigé sur cette propriété) est elle-même découplée de la lutte économique et politique des masses ouvrières et populaires (le prolétariat), comme si cette lutte n’était plus valide, et elle est plutôt devenue un puzzle quasi-métaphysique. Défendre et propager un programme communiste révolutionnaire ici et maintenant, c’est donc rien de moins que préserver et développer la totalité des instruments nécessaires pour les grandes luttes à venir.
Deuxièmement, il y a l’organisation. Comprendre c’est une chose. Comprendre et expliquer (par la propagande), c’en est une autre et c’est mieux. Mais comprendre et expliquer sans agir, c’est encore trop peu. C’est se priver de l’essentiel. L’organisation est la clé. Les communistes négligent cela chaque fois qu’ils cachent leur programme, chaque fois qu’ils dissimulent leurs propositions, chaque fois qu’ils se marginalisent aux franges des autres mouvements et qu’ils disent ce que tout le monde veut entendre, chaque fois qu’ils optent pour la virtualité plutôt que pour la réalité. « Les communistes ne s’abaissent pas à dissimuler leurs opinions et leurs projets » écrivaient Marx et Engels dans le Manifeste du parti communiste.
Dans le cas du PCR, des aventuriers petit-bourgeois ont négligé cette question et ont liquidé le parti. Soit ! Mais il y en aura un autre parti, et déjà ceux qui ont l’œil du lynx peuvent apercevoir ses premiers pas. Tous les partisans honnêtes du matérialisme-historique qui cherchent à développer une pratique révolutionnaire au sein du prolétariat devraient donc dès maintenant s’intéresser de près à ces « premiers pas ».
Ne nous méprenons pas cependant : le Réseau des comités de travailleurs n’est pas une forme nouvelle répondant à l’exigence mentionnée ci-haut. On n’est pas sur cet ordre-du-jour-là : chercher des substituts. Le parti communiste reste la forme organisationnelle permettant au prolétariat de lutter pour le pouvoir politique et de diriger les étapes et les rythmes de la révolution. Par ailleurs, notre théorie du parti communiste complet, comme nous le verrons au cours de l’année qui vient, postule clairement que le parti doit être en mesure de subsumer toutes les autres formes d’organisation, les spontanées et les transitoires aussi. Le parti aura donc ses réseaux à lui, ouverts et discrets, et se liera également à d’autres mouvements. Mais nous n’en sommes pas là pour l’instant. Qu’en sera-t-il donc du Réseau des comités de travailleurs ?
A) Le Réseau des comités de travailleurs sera plutôt un moment unique, transitoire et probablement non reproductible. Il lancera une contre-offensive dans le domaine de la propagande visant à raffermir les bases politiques et pratiques de l’expérience communiste au Canada. S’y joueront plusieurs corps-à-corps avec les courants idéologiques divers qui ont largement déplacé ces dix ou quinze dernières années la signification réelle de notions comme lutte révolutionnaire et communisme. Pour tous et toutes les militants-es révolutionnaires d’aujourd’hui, ce sera en quelque sorte l’équivalent d’un processus d’auto-éducation sur le communisme révolutionnaire.
B) Le Réseau va mener pendant une année entière (jusqu’au mois d’octobre 2023) un grand débat programmatique. Il ne s’agira pas de modifier, amender, soumettre ni adopter des textes, énoncés ou positionnements divers comme on l’entend habituellement quand on parle de débat programmatique. Les participantes et participants au Réseau vont échanger dans le but de défendre, corriger et/ou contester les énoncés principaux contenus dans le document « Les bases politiques du… ». Inévitablement, cela produira un débat programmatique de grande ampleur (un pareil processus pouvant générer par exemple ce que nous appelons dans notre vocabulaire le « programme long de la révolution ») avec, pour chacun des sujets abordés l’obligation militante (l’équivalent d’un « devoir » convenu entre nous) suivante : exposer et défendre la teneur et l’usage des concepts utilisés ; valider à partir de l’expérience directe et indirecte de la lutte des classes et des données historiques et empiriques disponibles l’objectivité (la réalité) des faits et des notions traitées ; déborder, chaque fois que cela sera possible et nécessaire, sur la pratique révolutionnaire induite par « les bases politiques… » (questions organisationnelles, méthodes et moyens, lignes d’action, etc.).
C) On pourra se joindre au Réseau sous la forme d’un « comité de travailleurs » mis sur pied pour l’occasion. On s’entend que ces comités peuvent être, mais ne sont pas nécessairement préexistants au Réseau ni ne lui survivront (peut-être, mais peut-être pas !). La forme « comité de travailleurs » est pour l’essentiel une forme convenue d’inscription au Réseau. Les prolétaires de quelque milieu que ce soit, les communistes et militants-es qui reconnaissent la légitimité du débat programmatique et qui se prononcent pour la constitution d’un parti communiste révolutionnaire au service du prolétariat, peuvent (à quelques-uns-es, 2, 3, 4 camarades) se former en comité et joindre le Réseau.
D) La table du Réseau sera constituée par l’ensemble des comités de travailleurs. La table se réunira le premier mardi de chaque mois à compter du mois d’octobre 2022 et ce pour une année complète. Cela pourra bien sûr déborder un peu, mais pas beaucoup ! Nous voulons une opération de propagande rapide, productive et percutante. La table du Réseau ne sera d’aucune façon une instance délibérative. Aucun vote ne s’y prendra. Les échanges politiques seront publics. Ils seront répercutés par les soins de la MNB (Maison Norman Béthune) de différentes façons, en particulier à travers Les Cahiers du Réseau.
E) Tout le processus sera complexe mais rapide. Compte tenu de cette rapidité, il sera tout simplement inutile de dégager d’un mois à l’autre un « axe majoritaire » qui n’aurait de toute façon aucune profondeur ni aucun avenir. Il sera beaucoup plus profitable de procéder à la totalité du débat programmatique dans toute son amplitude.
F) Cette contre-offensive dans le domaine de la propagande aura comme critère de validation la formation d’un nouveau groupe dirigeant apte à formuler, le moment venu et sous la forme appropriée, le comment des étapes suivantes, le plan de réalisation et d’implantation des tâches et des moyens pré-parti. Cela correspond à la ligne maoïste qui veut que la direction et l’autorité d’une avant-garde (incluant celles d’un groupe dirigeant initiateur) ne sont pas données d’avance par un droit abstrait, mais sont à conquérir constamment, d’une fois à l’autre, d’une lutte à la suivante, d’un problème à sa solution… et au problème suivant.
G) Comment vérifier cela ? Au terme de l’année de débat, un groupe devra formuler, sous la forme d’un texte de quelques pages, un « appel » qui contiendra deux choses : le contenu positif du débat programmatique (quoi retenir ?) et les tâches et moyens pré-parti (comment donner suite et avancer ?). Cet appel devra être endossé, au-delà des dits « comités de travailleurs » et des affiliations diverses, individuellement par les militants-es qui auront participé ou suivi de près l’expérience du Réseau, et qui soutiennent son contenu.
H) Une fois cet appel lancé, on basculera dans une autre période. Le réseau des comités de travailleurs cessera d’exister. On sera confrontés, mais avec quels bagages déjà accumulés, aux tâches et moyens nécessaires à la reconstitution d’un parti communiste révolutionnaire.
Ce grand débat programmatique que propose le Réseau des comités de travailleurs sera à n’en pas douter la démarche de défense, de mise-à-jour et de propagation du communisme révolutionnaire la plus importante des quarante dernières années au sein du marxisme au
Canada. Comment ne pas ne pas en être ? S’absenter reviendrait à se nier.
Il faut souhaiter que les 14, 15 prochains mois apportent de solides et utiles contributions au débat politique au Québec et au Canada, débat dominé de bout en bout par des thèses et des notions idéalistes plutôt que matérialistes ; anthropologiques plutôt qu’historiques ; subjectives
plutôt qu’objectives ; individualistes plutôt que socialisantes, et à l’intérieur duquel le marxisme semble malheureusement vouloir disparaître, ou à tout le moins rester bien tapi dans l’ombre pour ne pas s’exclure du consensus de pacotille qui se dessine dans les milieux de gauche. Pour sa part, la MNB, qui participera évidemment au Réseau des comités de travailleurs (elle sera elle-même un de ces comités et éditera Les Cahiers du Réseau) soumettra quinze documents pour appuyer et expliciter le contenu actuel de « Les bases politiques du nouveau programme… »
On en a touché un mot précédemment, chaque document va correspondre à une section des « bases politiques ». Il va résumer cette section en insistant sur les notions centrales et sur celles qui sont les plus novatrices (il y en a beaucoup), de même que sur les sujets qui sont contestés par les différents courants de gauche. Il va exposer et défendre les concepts utilisés ; il va valider le champ traité avec tous les matériaux historiques et empiriques disponibles et il va produire une « visualisation » dans la pratique révolutionnaire (quand cela sera possible) des méthodes, des moyens organisationnels et des lignes d’action. Ces documents seront publiés au fil de la prochaine année et seront débattus, avec d’autres contributions, lors des rencontres mensuelles de la table du réseau. Les choses pourront bouger en cours de route, mais il ne faut pas s’attendre nécessairement à ce que ces documents soient publiés dans l’ordre correspondant à leur numérotation.
L’aperçu qui suit, bien que sommaire, permet de saisir le contenu novateur des « bases politiques » et l’amplitude de tout ce qu’il embrasse. L’expression de grand débat programmatique n’est pas employée à la légère.
Document n° 1 – Le capitalisme et les classes sociales au Canada. On mettra à jour les données empiriques sur les classes sociales au Canada et sur les grands groupes à l’intérieur du prolétariat. Nous allons mettre au cœur de ce document les débats portant sur la loi de la valeur, la plus-value, le travail immatériel, etc.
Document n° 2 – Les questions nationales au Canada. Actualisation documentée des questions nationales autochtone et québécoise. Caractérisation des courants et mouvements chez les peuples autochtones.
Document n° 3 – Contre l’impérialisme et pour la révolution mondiale. Vaste étude détaillée sur le Canada comme État et bourgeoisie impérialistes. L’impérialisme aujourd’hui : les alliances, la concurrence, les erreurs des positions campistes variées.
Document n° 4 – Le marxisme-léninisme-maoïsme et le parti ouvrier d’avant-garde. Qu’est-ce que l’avant-garde ? La destruction du matérialisme-historique par les sciences sociales actuelles
Document n° 5 – La centralité ouvrière. Les différentes conceptions de la centralité ouvrière. Lutter contre les conceptions autonomistes. Description et caractérisation du mouvement syndical canadien. La question de l’aristocratie ouvrière. La ligne syndicale du parti (moyens et méthodes).
Document n° 6 – La théorie du parti communiste complet : notre synthèse des quatre formes objectives de l’action révolutionnaire. L’action révolutionnaire parmi les masses (ARM) : une élaboration supérieure. L’incontournable nécessité de l’AVPO (Aire vaste de propagande et d’organisation). La théorie du parti communiste complet et la totalité de ce que cela exige en pratique.
Document n° 7 – Nos principes d’organisation. Différentes applications du centralisme-démocratique. Le maoïsme et la lutte entre les lignes.
Document n° 8 – Contre le programme post-moderne de la grande bourgeoisie canadienne.
Document n° 9 – Les courants qui cherchent à nous diriger. On a tout à gagner à montrer pourquoi et comment ces courants divergent du communisme. Description actualisée de cinq grands courants : le réformisme militant ; l’anarchisme ; le féminisme ; l’écologisme ; le post-colonialisme.
Document n° 10 – Notre but : le socialisme et le communisme. Le communisme n’est pas une utopie. Le communisme n’est pas un catastrophisme. Le concept de transition et de dictature du prolétariat.
Document n° 11 – La future direction ouvrière de l’économie. Quelle transformation des forces productives ? Le travail sous le socialisme.
Document n° 12 – Pour la Fédération des républiques
socialistes du Canada. La notion de fédéralisme révolutionnaire dans l’expérience du mouvement communiste international. Le fédéralisme révolutionnaire au Canada. Les unités populaires de production et de consommation (UPPC) et les communes. À bas le parlementarisme bourgeois ! Vive nos délégués ! La différence entre le fédéralisme révolutionnaire et le municipalisme libertaire.
Document n° 13 – La réorganisation de la vie sociale par le pouvoir prolétarien. Dépérissement de l’État, transformation des manières de vivre, socialisations et solidarités croissantes.
Document n° 14 – La guerre populaire prolongée. Une synthèse communiste sur la guerre populaire prolongée (GPP) dans la perspective des révolutions à venir.
Document n° 15 – La pratique : le critère de vérité. La différence immense entre la lutte pour le communisme et le « monde invérifiable des idées idéales » va se révéler par la pratique des militants-es révolutionnaires et des masses prolétariennes. La pratique est au cœur de notre parti.
Le Réseau des comités de travailleurs va être un lieu (éphémère) qui favorisera ce grand débat programmatique. Il faut que les choses bougent. Il faut lutter contre la désorganisation. Il faut que battent en retraite les courants idéalistes et anti-communistes. Il faut défendre le matérialisme-historique. Il faut encourager et soutenir les meilleurs-es d’entre nous à se constituer en un nouveau groupe dirigeant capable de proposer et de réaliser le plan concret des tâches et des moyens pouvant nous mener à la reconstruction d’un nouveau parti communiste révolutionnaire.
Mettons-nous au travail. Il y a du boulot !
Patrice Legendre
La Gaspésie socialiste !