15 | La pratique: le critère de vérité

Document publié dans le cadre du «Grand débat programmatique» animé par le Réseau des comités de travailleurs:

Il s’agit du titre du dernier chapitre du document intitulé « Les bases politiques du nouveau programme du Parti communiste révolutionnaire du Canada », de sa conclusion. Après que le document a présenté son programme d’action, il est normal de dire qu’il va se vérifier dans la pratique. Si le travail de l’ouvrier, sa production, est une pratique, ce que réalise un parti prolétarien est aussi une pratique. Son programme va se réaliser dans la pratique. Les mots et l’articulation de ceux-ci dans le texte du document ne sont pas vrais en soi. Ils vont le devenir dans la pratique. Nous disons avec Marx que « c’est dans la pratique qu’il faut que l’homme prouve la vérité, c’est-à-dire la réalité et la puissance, l’ici-bas de sa pensée, dans ce monde et pour son temps ».

Or voilà, de multiples mouvements de gauche en viennent à voir dans leurs communications une vérité qui se performe, une prophétie qui s’auto-réalise dans le simple fait de croire ce qu’on dit et du rôle qu’on va jouer à la face du monde. Le théâtre de ces courants devient la réalité. Le débat ne concerne plus le lien entre ce qu’on dit et ce qu’on fait, mais à savoir si l’acte théâtral doit être planifié à l’avance selon un script ou doit être improvisé. En se situant dans les termes du deuxième débat, la réalité objective ne sert plus à rien. Dans ce contexte, on peut bien s’affranchir de la pratique dans la réalité et ne penser qu’à sa performance théâtrale. Réaffirmer la pratique comme critère de vérité, c’est se démarquer de l’idéalisme qui domine la gauche actuelle, et c’est ce qu’affirme ce chapitre.

Un programme politique doit passer par l’épreuve du feu de la réalité. Il amène des propositions osées qui peuvent avoir des répercussions comme ne pas en avoir, mais en bout de ligne, si l’ensemble du programme est bien en phase avec la réalité objective qui est mouvante, qui a un sens et des lois objectives de transformation, il devrait se confirmer dans la réalité. Ce sont des propositions que les adhérents au programme espèrent être largement reprises par les masses populaires, qui sont les véritables praticiennes de l’histoire. Les masses ne sont pas que des spectatrices qui doivent se positionner par rapport à des acteurs qui se pensent les détenteurs d’une vérité. Autrement, en les voyant comme spectateurs, on leur nie la possibilité d’être non seulement les acteurs d’une histoire qui leur est scriptée, mais aussi les praticiens qui vont la faire, en s’appuyant au début sur un certain script mais qui sera appelé à changer à cause de leur pratique effective. Quand l’idéalisme donne le rôle principal au scripteur, le matérialisme le donne aux masses et à leur pratique.

Le Parti communiste révolutionnaire a longtemps été reconnu par son attitude d’« oser lutter ! oser vaincre ! ». Ses mots d’ordre ambitieux servaient la construction d’un courant politique dédié à développer la lutte des classes et à lier la classe ouvrière avec la théorie du socialisme scientifique. Le PCR, par sa pratique, a maintenu vivant le communisme révolutionnaire le temps de son existence. Il s’est exposé publiquement. La férocité d’un écrit, autant dénonciateur soit-il, s’il ne peut servir à formuler des mots d’ordre pouvant être repris par les masses, ne pourra qu’entretenir la seule colère des rédacteurs du brulot sans que cela serve à quelque chose. Il s’agira de littérature, quand bien même serait-elle critique de la critique idéaliste. Sans des mots d’ordre qui peuvent trouver une base de vérification dans la réalité, un mouvement politique ne peut pas se développer et sa littérature ne restera que de la littérature.

Le chapitre sur « la pratique : le critère de vérité » s’inscrit dans la tradition de ce qui a été amené par Marx, Lénine et Mao. L’importance de la pratique comme critère de vérité est essentielle au mouvement prolétarien pour lui permettre d’avancer. Cette réflexion sur la pratique a permis à Marx et Engels de rompre avec l’ancien matérialisme mécanique, qui ne prenait pas en compte le rôle des masses dans l’évolution des choses. Le nouveau matérialisme, qui intégrait le critère de pratique, se désignait comme dialectique. Comme la réalité évoluait, parce qu’elle était la somme de forces contradictoires, les masses qui participaient dans ce mouvement devaient constamment réfléchir sur leurs actions à poser parce que celles qu’elles avaient posées dans le passé pouvaient être remises en question par l’effet des forces contradictoires. Le matérialisme mécanique ne prenait pas en compte le mouvement de forces contradictoires.

Dans leur pratique, déjà avant l’élaboration du Manifeste de 1848, Marx et Engels avaient constaté que les masses participaient à l’histoire et en façonnaient les contours futurs. En même temps, il y avait des forces sociales qui cherchaient à contrecarrer cette marche en avant. Dans le domaine social, la lutte des classes était et demeure encore ce qui caractérise l’évolution historique. Les changements dans la contradiction entre les forces productives et les rapports de production, les rapports de propriété notamment, ne peuvent être pensés sans l’action des classes sociales qui s’affrontent. Les personnes qui participent à ce mouvement historique sont amenées à réfléchir sur leur pratique dans ce mouvement de transformation sociale constant. Cette pratique devient importante parce que, même si dans le long terme il est fortement prévisible que les forces productives sociales emporteront une modification des rapports de production et de propriété, le mouvement de transformation sociale pourra se faire d’une manière plus ou moins conséquente avec le sens prévisible de l’histoire. En d’autres mots, la venue d’une société communiste avancée n’est pas une garantie absolue. Son apparition ne deviendra une vérité absolue que parce qu’elle aura une existence réelle et parce que les masses auront participé au mouvement qui permettra sa réalité objective.

Dans ce contexte, le rôle historique du parti prolétarien prend tout son sens dans non seulement l’accompagnement, mais aussi la direction à imprimer dans le mouvement de masse. Mais entre le mouvement de masse et le parti, il n’y a pas en soi une identité absolue. Cette dernière ne se réalise que si le subjectif est en lien avec l’objectif, que la réalité pour soi est conforme à la réalité en soi. Il existe un prolétariat en soi qui n’a pas pris en compte toute l’étendue de sa tâche historique mais qui, par son existence et ses luttes concrètes, contribue à sa réalisation. C’est ce qu’on appelle une classe en soi. Maintenant, pour passer à la classe pour soi, le prolétariat doit réaliser subjectivement qu’il a une mission historique, que son rôle est de faire progresser l’histoire et que son programme et ses intérêts de classe sont les vecteurs de cette marche historique.

En Occident notamment, là où le mouvement de masse prend du temps à voir la réalisation pratique du socialisme scientifique et du mouvement ouvrier, plusieurs petites sectes qui se proclament communistes ont vu le jour. Les membres de ces sectes ont beaucoup lu certains classiques du marxisme, du léninisme et du maoïsme. Dans certains cas, ils ont participé à certaines luttes concrètes, assez pour proclamer qu’ils connaissaient suffisamment le mouvement de masse, pour se voir comme de grands théoriciens de la lutte du prolétariat. À la limite, même en tenant pour acquis qu’on ait une vaste connaissance du mouvement historique du prolétariat et de sa théorisation (le socialisme scientifique), encore faut-il maintenir un contact réel et constant avec le mouvement ouvrier existant, parce que les choses changent. Marx et Engels avaient dit que les éducateurs avaient besoin d’être éduqués. En contact avec le mouvement ouvrier réel, des choses qu’on avait apprises de l’expérience historique du prolétariat prennent sens ou nous font réfléchir sur les différences et similarités de contexte social et historique. Cette expérience historique est une richesse de connaissances qui peut éclairer la pratique mais n’en dispose pas. La pratique a sa réalité parce qu’elle se réalise. Elle est prolétarienne, parce qu’elle fait avancer les intérêts du prolétariat et la marche vers le communisme, et non parce qu’elle correspond à des canons idéologiques posés comme « vérités éternelles ». Se servir des canons idéologiques, les présenter comme des épées tranchantes nous permettant de distinguer le vrai du faux revient à donner le rôle actif aux intellectuels qui ont lu beaucoup mais n’ont pas nécessairement vécu beaucoup. Abandonner le critère de pratique et oser affirmer que ce qui est important c’est l’« activité communiste réelle », comme le font nos ex-camarades fonctionnant sous le label d’« Avant-garde communiste du Canada », revient à sombrer dans un apriorisme intellectualiste, un mépris complet des masses populaires et une instrumentalisation de ces dernières pour servir les desseins d’une « avant-garde » qui n’est rien d’autre qu’un groupe de petits-bourgeois qui se voient comme une élite éclairée et qui n’a pas besoin de discuter réellement avec les masses dans l’élaboration d’un parti communiste. Marx, Engels, Lénine, Staline et Mao n’ont jamais dit que le parti faisait l’histoire. Ça a toujours été clair que les masses faisaient l’histoire, qu’elles étaient créatrices du mouvement historique. Pour Lénine, le socialisme, si plein de vie et de créativité, était la création des masses populaires elles-mêmes. Pour Mao, « le peuple, le peuple seul est la force motrice, le créateur de l’histoire universelle ». L’action d’un petit groupe isolé, même déterminé et prêt à prendre des grands risques et faire d’énormes sacrifices, ne disposera jamais qu’il appartient aux masses d’abolir la société de classes et construire le communisme.

Ce qu’on doit changer, c’est ce qui existe maintenant. Le savoir du passé nous aide mais il n’est pas déterminant. Mao disait que « ceux qui acquièrent vraiment du savoir par eux-mêmes sont, dans le monde entier, ceux qui sont liés à la pratique ». On va acquérir davantage de savoir actuel parce qu’on connait le savoir du passé, mais c’est dans la pratique qu’on va l’acquérir, pas ailleurs. Un parti prolétarien, pour acquérir du savoir, ne doit pas juste être spectateur – au contraire. Le parti prolétarien se veut le détachement avancé des masses prolétariennes ; il doit donc faire des propositions. Ces dernières sont bien reçues et elles permettent d’organiser un travail communiste concret. Elles sont mal reçues parce qu’elles ne correspondent pas du tout au besoin du mouvement de masses. Elles peuvent aussi être bien reçues mais ne permettent pas d’organiser un travail concret et d’amener des travailleurs à s’investir dans ce travail. Là, c’est plus difficile de déterminer ce qui pose un problème. En supposant que les propositions émises étaient les meilleures, encore faut-il qu’un parti bénéficie d’une caisse de résonnance pour que ces idées percolent suffisamment et que les masses en fassent leur. Il y a l’autre solution, qui est de requestionner la justesse des propositions, essayer d’en proposer de nouvelles qui vont recevoir une meilleure réception et s’assurer qu’elles soient rédigées par les personnes qui « maitrisent » le mieux le « savoir prolétarien » et faire de ces idées des épées tranchantes que les masses vont nécessairement utiliser. Dans ce cas, pas besoin de réfléchir aux conditions de production de la pratique ; il s’agit d’être une couple de bons communicateurs et d’aller se faire photographier sur des lignes de piquetage en se proclamant l’avant-garde. Le problème n’en est pas un de perfection du message. La réalité est qu’un message moins parfait peut avoir une meilleure caisse de résonnance et faire avancer les choses. C’est dans la pratique réelle qu’on verra à parfaire le message pour qu’il permette au mouvement de mieux avancer. Encore faut-il que le message se propage et il faut du monde, beaucoup de monde et surtout, il faut des masses qui voient dans ce message quelque chose qui correspond à leur vécu et à leurs aspirations. La meilleure caisse de résonnance, ce sont les masses en action elles-mêmes.

Le parti prolétarien doit toujours avoir l’initiative des propositions pour faire avancer les choses. Mais pour être une avant-garde réelle, il faut que ces propositions percolent, orientent et définissent l’activité des masses parce que ces dernières les ont faites leur, et cela demande un lien réel avec les masses et d’accepter de se faire éduquer par les masses et le mouvement de masses réel. Donc il faut absolument lier la théorie du socialisme scientifique et du matérialisme historique avec le mouvement ouvrier.

Se lier avec les masses ne signifie pas qu’on doive épouser toutes les idées erronées qui circulent parmi elles. L’apparition de ces idées s’explique par un contexte. L’échec des pays dits socialistes a semé le scepticisme et le manque de confiance parmi le prolétariat, qui se replie sur ce qu’il peut réussir dans l’immédiat et à moyen terme. Amener le prolétariat à prendre confiance dans ses moyens, à se voir comme un acteur politique incontournable, c’est une tâche très difficile et longue. Elle l’est d’autant plus qu’on l’a à peine entamée. Mais pour amener le prolétariat à prendre confiance dans ses moyens, il faut que les personnes qui se définissent comme étant l’avant-garde croient que le prolétariat est cette force qui va être l’acteur du mouvement de transformation sociale. La force qui se dit d’avant-garde et a un rapport déficient avec les masses, croit-elle vraiment dans les capacités des masses ? Elle peut donner des leçons de pureté idéologique, d’épées tranchantes, mais sans chercher à organiser la présence concrète des masses dans le processus. Réduire son travail à la seule publication d’articles de journaux et attendre que des travailleurs nous disent qu’on écrit des bonnes choses n’est certainement pas suffisant pour entrainer une déferlante révolutionnaire.

Le Parti communiste chinois, à l’époque de Mao, s’imposait trois styles de travail qui lui permettaient d’agir comme une véritable avant-garde en lien avec les masses et capables de contribuer à ce que ces dernières agissent comme de véritables actrices de l’histoire. Le premier style consistait à lier la théorie et la pratique. Le deuxième voyait à ce que le parti soit lié étroitement aux masses. Le dernier consistait à pratiquer la critique et l’auto-critique. Dans le dernier style, on retrouvait l’idée de corriger des pratiques erronées qui s’était dégagées dans un lien déficient entre la théorie et la pratique et entre le parti et les masses. Corriger les erreurs dans la pratique revenait à avoir appris en ayant une pratique effective. Autrement, pourquoi corriger des erreurs qu’on ne peut pas voir ? Encore fallait-il avoir l’idée de la perspective communiste et de la confiance dans les capacités des masses pour avancer vers le communisme et la confiance dans la capacité du parti à corriger ses erreurs pour exercer une vraie direction vers la construction du communisme. Encore fallait-il faire preuve d’humilité et accepter que l’éducateur a besoin d’être éduqué.

La pratique est vraie dans le domaine de la lutte des classes. Elle l’est aussi dans celui de la lutte pour la production et dans la lutte pour l’expérimentation scientifique. Ce sont trois grands mouvements révolutionnaires. Dans la réalité d’un pays où il y avait eu une révolution et où on aspirait à avancer vers le communisme, le lien entre la théorie et la pratique dans ces trois grands mouvements devaient être pris de front. Ces trois mouvements s’accompagnaient. C’était la lutte du prolétariat qui permettait de libérer les forces de production mais aussi la science utilisée non pas pour servir les besoins des profits capitalistes, mais pour servir le développement des forces productives en faveur des masses. Dans la lutte des classes, il fallait adopter une attitude scientifique où on tenait compte des lois objectives qui existaient en soi, de l’appropriation subjective du scientifique mais aussi de sa pratique concrète. Mais aussi, au lieu de partir d’apriori intellectualiste déconnecté de la réalité, il fallait réfléchir aux conditions de production de la pratique de la lutte des classes. Ces trois grands mouvements étaient nécessairement liés.

Pour illustrer le rapport entre la théorie et la pratique, un document de formation de maoïstes chinois[1] reprenait une formule imagée du président Mao : « Décocher sa flèche en visant la cible ». On expliquait cette maxime ainsi : « Les rapports entre théorie et pratique sont les mêmes qu’entre la flèche et la cible. Pour que cette flèche qu’est la théorie soit décochée avec précision dans la cible de la pratique, il faut partir de la pratique pour étudier, avec un but, la théorie marxiste-léniniste et, afin de résoudre les problèmes qui se posent dans les trois grands mouvements révolutionnaires, y puiser une position, un point de vue et une méthode. Si théorie et pratique sont séparées, on risque de décocher une flèche sans viser la cible. Si on ne possède une théorie juste que pour discuter à vide, pour l’empaqueter et la mettre dans un coin, et si on ne l’applique pas, elle ne saurait être d’aucune utilité, même si elle était encore meilleure. C’est seulement si l’on vise les problèmes qui naissent au cours de la pratique révolutionnaire et qu’on les analyse, qu’on les étudie et qu’on les résout avec cette arme théorique qu’est le marxisme-léninisme que l’on pourra lier la théorie et la pratique, et décocher sa flèche en visant la cible. »

Plus loin dans le même texte, on rajoutait l’importance de l’attitude scientifique dans le travail du parti. « Pour s’en tenir au principe de l’union entre théorie et pratique, il faut avoir une attitude scientifique consistant à rechercher la vérité dans les faits. La “vérité”, c’est tout ce qui existe objectivement ; les “faits”, ce sont les rapports internes des choses objectives ; “rechercher” signifie qu’il nous faut étudier. Dans le travail de tous les jours, faire preuve de l’attitude scientifique consistant à rechercher la vérité dans les faits, c’est étudier et comprendre les lois du développement des choses objectives, en se guidant sur le [marxisme-léninisme-maoïsme, qui concentre l’expérience historique révolutionnaire du prolétariat]. Ça revient à lier la ligne, l’orientation, les principes politiques du Parti ainsi que les directives des échelons supérieurs à la situation réelle de la région ou bien de l’unité où l’on se trouve ; c’est aussi les discuter et les appliquer à fond, s’efforcer d’accorder subjectif et objectif, d’unifier théorie et pratique, afin, dans le travail, de décocher sa flèche en visant la cible, d’obtenir les résultats espérés. »

Après avoir rappelé le travail d’étude de Mao, notamment dans son analyse de classe de la société chinoise mais aussi dans l’enquête dans le Hunan, le texte nous rappelle l’importance de mener des enquêtes sur la situation réelle, ce qui demande une vraie pratique. « Pour s’en tenir au principe d’union entre théorie et pratique il faut faire des enquêtes et des recherches sur la situation sociale. Enquêtes et recherches constituent la méthode scientifique du marxisme-léninisme ; lorsqu’on s’y livre, il faut faire des enquêtes vastes et approfondies sur la situation réelle, puis analyser et étudier les matériaux récoltés afin de “rejeter la balle pour garder le grain, [à] éliminer ce qui est fallacieux pour conserver le vrai, [à] passer d’un aspect des phénomènes à l’autre, du dehors au dedans […]. Sauter de la connaissance sensible à la connaissance rationnelle” : il faut bien distinguer l’important du secondaire, l’essence du phénomène, et le vrai du faux pour en tirer des conclusions le plus conformes possible à la réalité et mener à bien chaque travail en partant de la réalité. »

Après avoir saisi ce lien entre théorie et pratique et fait en sorte que le subjectif soit accordé à l’objectif, notre ligne de masse peut devenir effective. Les révisionnistes nous disent que la théorie comporte plein de choses inutiles dont nous n’avons plus besoin. Il faut faire attention de tout rejeter et de chercher à réinventer la roue. Une attitude scientifique commande aussi qu’on comprenne le contexte historique des propositions. Aussi, ce qui peut donner des résultats immédiats peut, sur le long terme, ne pas être utile. Un résultat immédiat peut servir d’indice pour indiquer qu’on avance, ou pas. S’en tenir à la recherche de gains immédiats tout en oubliant ce qui sert à avancer vers la perspective communiste peut nous éloigner du but. Mettre le primat de la pratique sur la théorie n’implique pas qu’on sombre dans le pragmatisme. La lutte de classe implique une pratique de longue haleine et les résultats peuvent prendre du temps à se manifester.

Une variante du révisionnisme tend à présenter certains éléments du passé comme des vérités immortelles qu’on peut appliquer dans tous les contextes. Si le contexte est semblable, ce qui était vrai alors peut être vrai aujourd’hui. Maintenant, si le contexte est complètement différent, on ne peut pas parler de vérités immortelles. Mais pour les dogmato-révisionnistes comme l’auto-proclamée « Avant-garde communiste du Canada », cela est vrai. Si quelqu’un avait écrit que le parti prolétarien était monolithique et qu’il n’y avait pas de luttes entre deux lignes, ça devenait une vérité immortelle. Mais voilà, il faudrait peut-être voir le contexte de l’écrit pour comprendre ce qu’on entendait par ce propos. Il se peut aussi que le propos était complètement erroné et déconnecté de la réalité. En mettant le critère de pratique au poste de commande, il y a des bonnes chances de conclure que l’idée d’un parti monolithique n’est clairement pas une vérité immortelle.

Le dogmato-révisionniste présente son action comme étant la seule réalité existante parce que, supposément, ses adhérents ont une grande connaissance de la théorie révolutionnaire et qu’on ne peut agir que sur les seuls facteurs qu’on maitrise qui, de fait, vont nécessairement s’imposer pour devenir une vérité immortelle. C’est de supposer que le parti est l’équivalent absolu des masses et qu’il a une connaissance absolue de la réalité et des aspirations des masses. Le parti étant les masses, pourquoi devrait-il se préoccuper de la pratique ? Son action deviendrait suffisante pour avancer vers le communisme parce qu’il connait ce qui doit être fait.

En fait, les différentes variantes du révisionnisme ont toujours tendance à écarter l’expérience réelle des masses. Dans un cas, les expériences du passé, supposément parce qu’elles ne s’appliqueraient pas au contexte actuel, ne seraient plus d’aucune utilité. Ce qui compte, c’est le travail du « parti », ses résultats immédiats et pas du tout la pratique de la lutte des classes vers le communisme. Les idées des membres du « parti », la capacité de ces derniers de se saisir des opportunités tout en oubliant la perspective finale revient à ce qui prime. C’est une variante de l’idéalisme et c’est bien sûr de l’opportunisme.

Dans le cas du dogmato-révisionnisme, si on ne cherche pas à saisir les opportunités du moment ni à obtenir des résultats immédiats, on n’oublie quand même de mettre la pratique révolutionnaire des masses au poste de commande et on privilégie l’action des membres du parti qui se plient à des directives d’un centre connaissant la théorie. Dans les faits, l’action des membres est instrumentalisée par une petite élite et celle des masses, dont on ne cherche pas à développer les capacités révolutionnaires sauf à rejoindre la secte et exécuter les ordres d’en haut, est aussi mise aux bénéfices des détenteurs d’un savoir livresque déconnecté de la lutte des classes. Il y a un script à performer devant des spectateurs qui pourraient aussi jouer le script mais, en bout de ligne, jamais les masses ne deviendront des actrices réelles de la lutte des classes.

Ces deux variantes du révisionnisme peuvent-elles se corriger ? Cela serait surprenant. Leurs adhérents ne se sentent pas redevables envers les masses et se foutent complètement de leur capacité à participer consciemment à la lutte des classes. Ils ne font pas preuve d’humilité envers les masses, qu’ils voient plutôt comme du bétail à instrumentaliser pour leurs objectifs. Ils se voient comme des génies au-dessus des masses. Dans un cas, ils sont fiers de leurs résultats immédiats. Dans l’autre cas, ils sont fiers de leur savoir éternel. S’il n’y a pas de résultats, c’est la faute des masses ingrates ou des camarades qui ne se plient pas aux ordres de l’élite éclairée. L’autocritique demande plutôt de se mettre au service des masses et de faire confiance en leurs capacités.

Nous avons confiance aux masses prolétariennes et à leur capacité de se saisir du savoir scientifique du marxisme-léninisme-maoïsme. Si les masses prolétariennes ne s’en saisissent pas, c’est peut-être la faute des personnes qui disent détenir cette connaissance. À la différence des autres qui pensent que ce n’est pas de la leur, nous faisons preuve d’humilité et reconnaissons des failles. En même temps, la tâche est gigantesque et on ne se fait pas toujours confiance dans la réalisation de ces tâches. Tout seul on n’y arrivera pas. Nous avons besoin de toutes celles et ceux qui croient aux capacités révolutionnaires du prolétariat pour aller de l’avant. Nous pensons avoir des bonnes propositions pour discuter. On peut se tromper sur certaines. C’est la pratique qui va déterminer si elles sont justes ou non. Ce qui nous importe c’est que les masses prolétariennes fassent la révolution. Nous voulons oser la pratique révolutionnaire !


[1] Groupe de rédaction « Connaissance de base du parti ! » [traduit par Danielle Bergeron], Connaissance de base du parti communiste chinois – Shangai 1974, Nouveau Bureau d’édition, Paris, 1975.