Les “Bases politiques” puissantes d’un parti disparu !

Contribution personnelle d’un ouvrier en Gaspésie / Texte paru dans le n° 1 des Cahiers du Réseau, publiés par la Maison Norman Bethune en appui à la formation du Réseau des comités de travailleurs :

On devrait tous s’en réjouir : les travailleurs et les travailleuses du Canada disposent depuis l’automne dernier d’un document très fort, percutant, une plate-forme renouvelée, encore incomplète certes, mais dotée d’une charge propagandiste du plus haut niveau. Ce document s’intitule : Les bases politiques du nouveau programme du Parti communiste révolutionnaire du Canada. Tous les communistes révolutionnaires devraient se dire : Quel appel clair ! Quel bon pas en avant ! Pourtant, et c’est malheureux, on n’en est vraiment pas là. Le PCR disparaît petit à petit. À vrai dire, sa direction le cache. Une direction erratique, qui a totalement dérapé à la fin de l’année dernière et qui persiste dans un dilettantisme très coûteux pour ce parti.

Au mois de décembre 2021, une majorité des membres restants du PCR trompée par deux “chefs” égarés, a décidé de tasser du parti quatre militants qui étaient associés au PCR depuis sa fondation, voire depuis plus longtemps encore (groupe Action socialiste, PCR-co). Cette expulsion, qui n’en portait pourtant pas le nom (trop honteuse ? trop irrationnelle ?) avait pour objectif de placer en dehors de l’organisation réelle du parti ces quatre militants, dont le signataire de ces lignes, auxquels on fermait la porte à la fois des instances et des tâches de direction, ainsi que des organisations de base du parti (c.-à-d. les cellules, fondamentales dans un groupe fonctionnant selon le centralisme démocratique).

Cette décision, dont on saura peut-être un jour comment elle fut prise, était l’initiative d’une petite unité de direction (deux personnes), totalement repliée sur elle-même, imbue de son autorité de direction, dépourvue de tout sens politique, et qui avait commencé à développer une mentalité d’assiégés, impropre à faire rayonner la ligne et l’activité du parti.

Leur geste de décembre est malheureusement venu compléter le travail de liquidation amorcé en 2016 par la direction opportuniste du parti basée alors principalement en Ontario. Lors du 4e congrès du parti en 2016, des “délégués-es” sortis de nulle-part, sans passé au sein de l’organisation, avaient élu une direction très largement opportuniste, qui se situait à mille lieux du MLM. Les membres de ce CC avaient adopté depuis un certain temps déjà une trajectoire non-marxiste, faite d’idées post-modernes, de thèmes petit-bourgeois subjectivistes et de gauchisme littéraire.

Leur but était de transformer le maoïsme canadien, d’en faire quelque chose d’inoffensif, de purement littéraire (ou académique, ou numérique, c’est la même chose). Pour y parvenir, il fallait amputer de ce faux PCR sa base ML et prolétarienne qui se trouvait au Québec. Ces gens considéraient sans doute que cette base était décidément trop fermement conduite par ce qu’ils nommaient “la direction historique”. Le véritable PCR – celui du Québec – a bien entendu combattu toute cette salade de thèmes et d’idées non communistes. Le groupe restant au sein du PCR d’aujourd’hui était évidemment, c’est son mérite, aux premières loges dans cette bataille.

Qu’est-il advenu de toute cette opération ? Comme il fallait malheureusement s’y attendre, quand on confie la lutte politique à des aventuriers petit-bourgeois, on obtient que des gros dégâts. Le PCR a disparu en peu de temps du reste du Canada ; tous ces gens, tous ces aventuriers (9 sur 10) ont disparu de la circulation : le maoïsme canadien a été littéralement laminé. Et – erreur de l’histoire ? – la dite “direction historique” a été, contre toute attente, expulsée du PCR en décembre dernier.

Comment expliquer ce dernier épisode ? Grossière erreur ? Maladresse ? C’est possible. Mais alors si c’est le cas, que les responsables s’amendent, et vite ! Ou bien, par une difficulté majeure (immense) présente dans pratiquement tous les milieux militants ML à combattre la tendance à la disparition du “mouvement réel” et à impulser une offensive politique passant par un nouveau champ d’alliances. Il se peut que le duo dirigeant du PCR actuel ait souscrit en paroles à ce combat et à cette impulsion nécessaires, sans pour autant être prêt à modifier quoi que ce soit à ses méthodes de travail.

Au cours des années 2018, 2019 jusqu’en mars 2020, dans le cadre des activités publiques de la Maison Norman Bethune (MNB), nous avons tenu plus de 150 activités diverses, la très grande majorité étant de nature propagandiste (discussions, conférences, débats, etc.). De multiples questions ont été abordées, certaines de façon plus minutieuse et approfondie que d’autres, cela va de soi. J’ai personnellement pris une part active dans ce processus qui fut globalement positif et éclairant. Et éclairant, le mot est faible ! C’est un véritable faisceau de lumières qu’on a collectivement projeté, semaines après semaines, sur la situation politique et théorique qui se construisait autour de nous suite à notre mésaventure canadienne.

On pourrait résumer ce constat de la façon suivante : il s’est ouvert depuis plusieurs années un immense gouffre, comme un piège béant (une auto-liquidation ?) qui aurait l’appétit d’un ogre et dans lequel plongent allègrement pratiquement tous les nouveaux courants d’extrême-gauche, y compris certains qui se prétendent maoïstes. Ce “trou noir” qui tend à absorber toutes les énergies révolutionnaires jusqu’à les faire disparaître est marqué des deux traits suivants : a) une hypertrophie extrême de l’aspect idéologique des choses, du discours, de la méta-réalité, de l’énonciation, de la phrase et de l’invention (une chose est vraie quand elle est dite) ; et b) un combat de tous les instants contre le matérialisme, contre les faits, contre la réalité elle-même, et donc contre la matérialité de la lutte politique révolutionnaire.

On ne fera pas ici le détail de tout cela, mais on a essayé de labourer un champ assez vaste (la cartographie des classes sociales au Canada ; le gauchisme littéraire ; l’histoire du mouvement communiste au Canada ; le maoïsme tel qu’en lui-même ; la centralité ouvrière ; le cul-de-sac de l’autonomisme ; etc.). Ce fut dans une certaine mesure comme une longue enquête sur le terrain du maoïsme canadien et de l’extrême-gauche. Cela nous a armé, même modestement, quand est venu le moment de préparer politiquement le 5e congrès du PCR qui s’est tenu pendant l’été de 2021.

En ce qui me concerne, et pour être conséquent avec ce qui m’apparaissait être les résultats les plus évidents de cette “enquête” maison, j’ai souhaité faire valoir les cinq idées (propositions) suivantes :

1.  Dans un pays comme le nôtre, le socialisme est à portée de main. Il est à nos portes. Sa possibilité et sa nécessité ne font pas de doute. Mais le socialisme n’a pratiquement plus de mouvement qui le porte. Le socialisme réside entièrement dans les forces productives actuelles se confrontant aux rapports de production bourgeois. Or le mouvement qui se dit révolutionnaire et qui se réclame du marxisme se détourne avec dédain des forces productives et de leur procès d’appropriation (la révolution) par le prolétariat. C’est comme s’il s’agissait d’un “problème” qui l’emmerdait ! Il préfère regarder ailleurs.

2.  Cela est particulièrement vrai au sein des forces qui se proclament maoïstes. Il y a comme une usurpation de la chose par des courants qui ne sont pas prolétariens et qui manœuvrent essentiellement dans le domaine de l’idéo­logie. Nous devons procéder à la vérification politique du maoïsme des uns et des autres autour de nous au Canada, mais également ailleurs au niveau international.

3.  Dans la révision du programme du parti, il faut adopter une nouvelle combinaison faite d’un programme court et d’un programme long. Le programme court doit synthétiser sous la forme de brefs appels clairs et percutants la ligne générale du parti au moment présent, sur une vaste étendue de questions. Il doit servir au ralliement et à l’adhésion. Le programme long sera, dans le processus de déploiement du parti, un développement du programme court. Il sera une explication dirigée vers les larges masses pour leur éducation, pour la propagande, et pour pallier les déficiences des sciences sociales académiques et apparentées. Il intégrera les principaux apports de la science et de la connaissance historique. Il constituera une véritable école prolétarienne vers le socialisme.

4.  La construction du parti au Canada a dû faire plusieurs pas en arrière suite à l’expérience d’une direction opportuniste et liquidatrice au Canada-anglais. Donc, on doit repartir vers l’avant ! Mais on le fera en développant un nouveau champ d’alliances accouplé à un domaine d’exclusivité mieux assuré. La pierre d’assise du domaine d’exclusivité c’est simple, c’est le programme court. La ligne générale ne se brade pas pour des strapontins dans les luttes à la mode. Le champ d’alliances doit être revu. Il doit partir des forces productives et de la centralité ouvrière. Les duos idéologiques classiques gauche/droite, révolutionnaires/réformistes, anticapitalistes/capitalistes, antifascistes/fascistes, etc. sont malheureusement devenus des auberges espagnoles où tout est mélangé. Un parti révolutionnaire construit son champ d’alliances en toute autonomie, et ce dans l’objectif du socialisme.

5.  Pour opérer les premiers pas que nous souhaitons dans le déplacement du centre de gravité de l’activité politique actuelle d’une hypertrophie généralisée des idéologies (l’anti-matérialisme militant) vers la lutte des classes conséquentes, nous aurons besoin d’un outil nouveau où nous concentrerons nos études et notre connaissance des contradictions du capitalisme dans notre pays. Nous nommerons cet outil Les Cahiers canadiens du matérialisme-historique.

Ces cinq grandes idées ont été introduites dans la préparation du 5e congrès. Et le congrès lui-même, quoique modeste, les a retenues et adoptées. Autant le 4e congrès en 2016 avait été, pour ceux et celles qui y étaient, un sinistre cauchemar anti-communiste, autant le 5e congrès de l’été dernier fut constructif et permit d’entrevoir un regain du parti au Québec. L’essentiel des perspectives fut adopté à l’unanimité des personnes présentes. Et par la même occasion, le congrès adopta son programme court : Les bases politiques du nouveau programme du parti communiste révolutionnaire du Canada.

La question se pose : on ne fait pas une scission quelques mois après un congrès – de transition – où il n’y avait ni majorité ni minorité, mais où régnait plutôt un accord absolu sur le sens et les moyens de la lutte politique à venir. Le bon sens moyen de tout militant honnête voudrait plutôt qu’on prenne appui sur les résultats de ce congrès pour pousser la lutte vers l’avant. Or le duo dirigeant du PCR actuel a rapidement opté pour la scission.

Là-dessus nous dirons : ce qui était vrai hier l’est encore aujourd’hui. Nous avons voté avec enthousiasme pour un nouveau programme révolutionnaire, ce programme est encore le nôtre. Les militants et militantes regroupés dans l’équipe de la Maison Norman Bethune vont faire de “Les bases politiques du nouveau programme…” leur plate-forme de définition politique. Ils et elles vont l’éditer, la propager et la défendre. C’est autour de cette plate-forme que la MNB va rallier et former son équipe.

Cette plate-forme est sans nulle doute le plus avancé des programmes dans toute l’histoire du mouvement communiste au Canada. L’organisation qui saura la propager avec succès à l’intérieur d’un champ d’alliances approprié, sera celle qui relancera le prochain parti communiste révolutionnaire au Canada. La MNB compte bien, dans la période de transition actuelle, être le fer de lance de cette organisation.

“Les bases politiques…” se révèlent être une véritable synthèse du PCR lui-même dans ce qu’il a élaboré au fil des années davantage que dans ce qu’il a réalisé, compte tenu des circonstances difficiles qui ont accompagné son existence. Le contenu de ce formidable document et les notions qu’il développe trouvent leur source dans un grand nombre de documents et/ou d’expériences qui ont accompagné l’histoire du parti.

Il y a bien sur le Programme précédent qui datait de l’époque du PCR-co. Le Plan de déploiement qui introduisait les quatre formes objectives de l’action révolutionnaire ; les Moyens pratiques du plan de déploiement qui lançait la notion de parti communiste complet ; le Plan pour l’étude sur la GPP qui avait ouvert le champ pour le développement des unités populaires de production et de consommation et pour la ligne du fédéralisme révolutionnaire au Canada ; la contribution du collectif de la Rivière rouge qui introduisit les notions d’AVPO (aire vaste de propagande et d’organisation) et de construction croisée ; les ateliers du MRO où se développa la compréhension des 10 grands groupes et de la nécessité d’une ligne syndicale ; la centralité ouvrière étudiée par l’ÉCM ; les corrections sur le féminisme et le féminisme prolétarien discutées dans la foulée de la scission de 2017 ; les travaux du BO sur le programme post-moderne de la grande bourgeoisie. Etc.

Qu’est-ce qui perce à travers tout cela ? Une dialectique bien vivante. Une créativité audacieuse. Une adaptabilité concrète aux conditions de la situation canadienne. Une pertinence foudroyante. Une ligne 100 % révolutionnaire. Il ne faut pas que cela se perde avec les hésitations d’un parti qui se cache.

Et quelles sont nos perspectives ? Il ne faut pas croire que nous cherchons une nouvelle façon de s’organiser pour les communistes révolutionnaires. Nous sommes pour un parti communiste d’avant-garde. Nos perspectives ne sont que des perspectives de transition qui résultent d’une expulsion erronée. La Maison Norman Bethune va continuer son activité amorcée à Montréal en 2009. Son équipe de militants et de militantes va se doter d’une unité politique qui est d’ores et déjà celle qui se trouve formulée dans “Les bases politiques…”. Vous vous reconnaissez dans cette unité ? Alors vous pouvez vous joindre à l’équipe de la MNB. Nous allons tenir une série mensuelle de Grands débats sur les questions fondamentales qui concernent le prolétariat et sa révolution. Nous offrirons à compter de l’automne prochain un cours sur le marxisme. Nous amorçons la publication ce printemps, sous notre responsabilité, des Cahiers du Réseau qui seront édités et vendus. Nous réunirons chaque mois le Réseau des comités de travailleurs. Nous ne demande­rons pas à ces comités d’adhérer au même programme que la MNB. Toutefois ces comités devront : a) se prononcer pour la constitution d’un parti communiste révolutionnaire au service du prolétariat canadien, et b) se préparer pour une large lutte programmatique qui s’amor­cera dans deux ou trois années. Pour lancer cette lutte programmatique, la MNB produira le Programme long (ou Programme complet) de la révolution canadienne.

Pas un marxiste, pas une communiste, pas un seul révolutionnaire ne devrait rester indifférent devant cette lutte programmatique nécessaire.

Formez vos comités !

Travailleurs et travailleuses haïtiens-nes de Montréal et des environs, formez votre comité et participez au Réseau ;

Travailleurs algériens, travailleurs salvadoriens, travailleurs africains, formez vos comités et joignez-vous au Réseau ;

Travailleurs de la construction, travailleurs du port,
travailleurs des grands chantiers, formez vos comités ;

Travailleurs des usines, des entrepôts, des magasins, des hôpitaux, formez vos comités ;

Travailleurs, pêcheurs de la Gaspésie, travailleurs de la Côte-Nord, de l’Abitibi, formez vos comités, correspondez avec les Cahiers, participez au Réseau.

Le socialisme est à nos portes ! Ensemble, on a des portes à défoncer !

Patrice Legendre