Le maoïsme tel qu’en lui-même – Contre l’idéalisme du courant « principalement maoïste »

Publié en janvier 2020, ce texte reprend et développe les thèses présentées à l’automne 2019 dans le cadre de la série du même nom par l’École communiste de Montréal.

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Présentement, un petit regroupement d’organisations actives dans quelques pays mène une offensive idéologique pour tenter d’imposer une nouvelle définition idéaliste du maoïsme à l’ensemble des partis luttant pour le communisme dans le monde. Ce regroupement, dirigé par le Parti communiste du Brésil (Fraction rouge) [PCB (FR)], compte dans ses rangs les représentants du mouvement « maoïste » américain organisé autour du journal Struggle Sessions, quelques groupes satellites en Amérique latine ainsi qu’un petit nombre d’organisations en Europe, notamment le Comité Drapeau rouge d’Allemagne, le groupe Tjen Folket de Norvège et le Parti communiste maoïste de France (malgré son ambivalence). Dans les faits, parmi les organisations et les partis maoïstes en activité sur la planète, cette poignée d’organisations compose une fraction très faible, voire même insignifiante, dont la pratique réelle est extrêmement limitée. Cependant, cette fraction s’est fait remarquer dernièrement en faisant des déclarations grandiloquentes et tapageuses et en lançant des polémiques provocatrices, générant ainsi une certaine confusion qu’il est maintenant temps de dissiper. Comme nous l’avons mentionné, la lutte idéologique que tentent de mener le PCB (FR) et ses partisans vise à imposer une nouvelle définition idéaliste du maoïsme. Cet exercice de redéfinition du maoïsme constitue une rupture directe avec l’expérience historique qui en a été la matrice, c’est-à-dire l’expérience de la révolution chinoise et principalement l’expérience de la guerre populaire prolongée en Chine. Il s’agit également d’une rupture avec l’ensemble de la théorie scientifique développée par Marx, Lénine et Mao au cours de plus d’un siècle de combats révolutionnaires. En fait, cet exercice consiste à vider le maoïsme de tout contenu pour en faire un ensemble de formules creuses et idéalistes dont l’adoption conduit à se séparer de toute pratique révolutionnaire véritable. D’ailleurs, la ligne mise de l’avant par le PCB (FR) et ses partisans sert présentement de paravent, dans les pays impérialistes, au développement d’une pratique opportuniste de droite et postmoderne – un cadeau béni pour la bourgeoisie des pays où cette tendance est en train de remplacer l’option d’un combat révolutionnaire réel pour renverser la classe dominante. La tentative de redéfinition du maoïsme constitue également une fausse solution à la situation difficile dans laquelle se trouve présentement la révolution mondiale, solution permettant d’éviter d’affronter les problèmes concrets posés par la lutte révolutionnaire. Elle donne l’illusion que le progrès révolutionnaire se situe dans la sphère des idées et non dans l’action communiste réelle. Finalement, l’offensive idéologique du PCB (FR) et de ses partisans constitue une attaque petite-bourgeoise et méprisable contre les organisations maoïstes les plus actives dans la lutte pour le communisme à travers le monde. En somme, il s’agit d’un exercice purement littéraire, d’un jeu intellectuel petit-bourgeois et opportuniste envers lequel on ne peut se permettre d’être complaisant.

Le 24 septembre 2018, à l’occasion du 26e anniversaire du discours de Gonzalo dans la cage, les représentants les plus importants de la tendance idéaliste publient une déclaration conjointe intitulée In defence of the life of Chairman Gonzalo, hoist higher the flag of Maoism! dans laquelle est clairement exprimée leur intention de mener la lutte contre les partis et les organisations du « mouvement communiste international » n’adhérant pas à leur conception idéaliste du maoïsme, organisations qui, sans être nommées, sont accusées de faire preuve d’éclectisme, voire même d’être purement et simplement révisionnistes. Dans cette déclaration, les partisans de la tendance idéaliste affirment que « le problème dans le mouvement communiste international n’est pas principalement lié au fait que le maoïsme n’est pas formellement reconnu, mais plutôt à la façon dont certains le conçoivent » et que « c’est seulement en partant de ce qui a été scientifiquement établi par le Président Gonzalo que l’on peut comprendre le maoïsme comme une unité ». Ils affirment aussi que « l’unité des communistes dans le monde aujourd’hui ne peut être accomplie que sur la base du marxisme-léninisme-maoïsme, principalement du maoïsme, sans quoi ce n’est pas une unité entre communistes, mais une sorte de front avec le révisionnisme et l’opportunisme. »

En octobre 2018, un article attaquant le Parti communiste des Philippines est publié dans la revue Klassenstandpunkt, revue des partisans allemands de la tendance idéaliste. Dans cet article intitulé First critical remarks about the role of the Communist Party of the Philippines in the International Communist Movement, les maoïstes philippins sont accusés, entre autres, d’avoir une compréhension éclectique du marxisme et de ne pas s’opposer fermement au révisionnisme dans le monde.

En avril 2019, le PCB (FR) publie un texte intitulé Combat liquidationism and unite the ICM under Maoism and the People’s War. Il s’agit d’une réponse à un texte du Parti communiste (maoïste) d’Afghanistan publié à l’été 2018, texte critiquant la déclaration du 1er mai 2018 signée par les organisations de la tendance idéaliste. La publication de Combat liquidationism and unite the ICM under Maoism and the People’s War par le PCB (FR) fait franchir un pas supplémentaire à l’offensive de la tendance idéaliste contre les partis et les organisations maoïstes n’adhérant pas à leurs conceptions, donnant ainsi le feu vert à des attaques encore plus décomplexées contre ces organisations. Dans le texte, le PCB (FR) fait explicitement mention de l’existence d’un courant « liquidateur de droite » dans le « mouvement communiste international » et affirme que « la lutte contre cette tendance opportuniste de droite constitue la continuation et l’approfondissement de la lutte contre le nouveau révisionnisme » de Prachanda et d’Avakian. Il affirme même que « cette tendance liquidatrice représente une forme plus récalcitrante et plus pernicieuse du nouveau révisionnisme », ajoutant que le « révisionnisme, dans ses expressions les plus variées, se concentre de plus en plus contre la Pensée Gonzalo ». Mis à part le Parti communiste (maoïste) d’Afghanistan, le texte ne désigne pas explicitement les partis et les organisations appartenant à ce soi-disant courant liquidateur, mais on comprend bien que le PCB (FR) fait référence à toutes les organisations ne recon­naissant pas « les contributions de validité universelle de la Pensée Gonzalo ».

Le 24 mai 2019, quelques semaines après la sortie du texte des Brésiliens, c’est au tour de notre parti, le Parti communiste révolutionnaire (PCR-RCP), d’être attaqué par la tendance idéaliste, avec la publication du texte Navigating the Canadian Split par le journal Struggle Sessions des « maoïstes » américains. Les Américains caractérisent notre parti comme une organisation droitière ayant une « conception dogmatique, désuète et éclectique du maoïsme » et n’ayant « jamais adhéré au MLM tel qu’il a été synthétisé par le PCP et le Président Gonzalo ». Nous sommes également accusés d’être des « avakianistes sans Avakian » et de défendre des « idées incorrectes » provenant essentiellement de « l’idéologie du Mouvement révolutionnaire internationaliste, qui consistait en une compréhension décousue et éclectique du MLM ». Bien que les Américains présentent le texte comme une polémique menée « purement dans l’intérêt du débat théorique et idéologique » et comme une contribution à la « lutte internationaliste pour l’unité », sa publication constitue en réalité une attaque politique opportuniste contre les partisans de la ligne révolutionnaire au Canada. Afin d’illustrer le mode d’opération complètement petit-bourgeois des partisans de la tendance idéaliste, remettons les choses en contexte.

Comme cela est maintenant de notoriété publique depuis un moment déjà, notre parti a connu une scission en 2017 pour préserver sa ligne et son programme révolutionnaires contre les attaques d’une clique opportuniste de droite dont les positions re­ve­naient à liquider la préparation de la guerre populaire au Canada, à développer une activité purement réformiste et à importer le postmodernisme dans les rangs de notre organisation. Suite à cette scission, notre parti a rendu publique une série de textes (Nous sommes les continuateurs, Les formes objectives de l’action révolutionnaire, Critique de la confusion et de l’opportunisme contenus dans l’Arsenal #9) visant à mettre en échec les partisans de la ligne opportuniste et détaillant le contenu de leurs conceptions et de leur pratique droitière. Nous avions alors correctement identifié ce que nous concevions comme l’apparition d’une nouvelle forme de révisionnisme, produit de la fusion entre l’opportunisme classique et le postmodernisme, le tout caché derrière une phraséo­logie « maoïste ». À ce moment-là, la lutte contre cette forme particulière de révisionnisme n’avait pas connu de précédent dans les pays impérialistes depuis l’émergence d’organisations maoïstes défendant la perspective de la guerre populaire. Quelques temps après la scission, les « maoïstes » américains avaient donné publiquement leur appui à notre parti et avaient dénoncé sans réserves les représentants de la ligne opportuniste de droite. Or, il est aujourd’hui évident qu’il ne s’agissait pas d’un appui motivé par les principes de l’internationalisme prolétarien, mais bien d’une
manœuvre parasitaire des dirigeants du mouvement américain visant à accaparer entièrement les fruits de la lutte contre les opportunistes canadiens, et ce, afin d’accélérer la consolidation de leur propre direction politique opportuniste aux États-Unis. Les Américains accusent désormais notre parti de ne pas avoir correctement combattu les opportunistes canadiens. Pourtant, c’est nul autre que notre parti qui a identifié la forme de révisionnisme dont ces militants canadiens étaient les représentants, qui a traversé une lutte de lignes et une scission, et qui a produit le bilan politique de cette expérience. Aussi, les Américains ont profité de l’état de faiblesse momentané dans lequel se trouvait notre parti pour tenter de le discréditer. À ce propos, suite à la scission (et plus précisément dans les mois précédant la manœuvre des Américains), nous avons dû mener une épuration dans nos rangs afin de mener jusqu’au bout la lutte contre le postmodernisme et afin de poursuivre le processus de démarcation politique entrepris avec la scission. Notre organisation s’en est évidemment trouvée temporairement affaiblie sur le plan quantitatif, et c’est d’ailleurs pourquoi nous traversons présentement une phase de reconstruction. Dans ce contexte, les Américains ont pointé du doigt l’état dans lequel se trouvait notre organisation pour tenter de démontrer la soi-disant faillite de notre « conception éclectique » du maoïsme. Ils ont fait cela tout en nous accusant d’avoir été trop conciliants avec l’opportunisme, alors que c’est précisément parce que nous avons mené la lutte de manière conséquente que notre parti s’est affaibli numériquement. Tels de véritables parasites, ils ont pro­fité des difficultés rencontrées par les révolutionnaires au Canada pour se positionner rapidement et pour mettre de l’avant leur ligne politique idéaliste.

Dans leur texte, les Américains dénoncent notre soi-disant « incapacité à appréhender les contradictions internes » en affirmant que rien ne montre qu’une « lutte entre les deux lignes organisée » a eu lieu au sein de notre parti dans les années précédant la scission. Pour affirmer cela, ils s’appuient sur le fait que notre texte Nous sommes les continuateurs fait seulement état des luttes entourant notre dernier congrès. Ils font également référence à une série d’événements isolés dont l’évocation témoigne d’une incompréhension totale de l’histoire de notre organisation. L’accusation des Américains est risible et ne fait que révéler leur immaturité politique. D’abord, elle démontre que les Américains confondent l’apparence avec l’essence des choses. Ensuite, elle démontre qu’ils ne comprennent pas ce qu’est une lutte de lignes. En effet, il n’existe pas une telle chose qu’une « lutte entre les deux lignes organisée », si l’on entend par là un débat démocratique permanent et bien encadré entre la gauche et la droite, comme les Américains semblent le concevoir. En vérité, une lutte de lignes n’est pas un simple débat d’opinions. Il s’agit d’un combat politique pour préserver le caractère révolutionnaire d’une organisation. C’est un processus circonscrit dans le temps, avec des flux et des reflux, des épisodes d’accélération ou de ralentissement, des phases où le combat se mène ouvertement et d’autres où le combat est larvé. Ce qui doit être organisé dans une lutte de lignes, ce n’est pas la mise en place de dispositifs permettant aux deux camps de s’exprimer démocratiquement et formellement, mais plutôt l’initiative politique de la fraction révolutionnaire pour écraser la ligne opportuniste, pour la faire disparaître. Défendre la conception inverse revient à dire que les opportunistes déclarés doivent être tolérés au sein des organisations révolutionnaires, ce qui constitue un recul considérable par rapport à la conception léniniste du parti d’avant-garde. En nous accusant a posteriori de ne pas avoir été en mesure, dès le départ, de bien caractériser les opportunistes canadiens (et passant sous silence le fait qu’ils ont eux-mêmes été incapables de déceler l’opportunisme chez ces mêmes militants canadiens avant que nous entamions nous-mêmes ouvertement le combat contre eux), les Américains révèlent qu’ils n’ont aucune expérience et qu’ils ne comprennent absolument rien à la lutte politique. Les idées justes émergent de la pratique et de la confrontation avec les idées fausses. Mais les « maoïstes » américains semblent croire qu’elles tombent du ciel. Pour eux, tout est figé : ils ne saisissent pas que les groupes, les organisations, les partis, les combats, les conceptions, les tendances et les lignes politiques sont toujours en mouvement et en développement. Ils ne saisissent pas la complexité et le caractère dynamique de la lutte des classes. Ce qui ne correspond pas à une forme « pure » et immuable, ils crachent dessus. Mais la « pureté » qu’ils recherchent n’existe que dans leurs esprits de petits-bourgeois prétentieux et idéalistes.

En tentant, comme ils le font, de disqualifier notre organisation, les « maoïstes » américains, avec l’appui du PCB (FR) et de leurs alliés, s’opposent au développement de la ligne révolutionnaire au Canada et font objectivement front commun avec ses ennemis canadiens. D’ailleurs, avec la publication de leur texte, les Américains opèrent un recul dans leur caractérisation des opportunistes canadiens qu’ils considèrent désormais comme une organisation « pan-canadienne » constituant l’un des « deux groupes canadiens se réclamant du maoïsme et opérant exactement sous le même nom », et non plus comme une clique opportuniste n’ayant presque aucune activité réelle et ayant usurpé le nom de notre organisation. En parlant de la situation politique canadienne, les Américains affirment maintenant « qu’il y a d’importantes idées incorrectes des deux côtés » et que la scission a mené à une « impasse », ce qui revient à aplanir les différences entre les révolutionnaires et les opportunistes, et donc à faire une concession impardonnable au révisionnisme. En fait, la position des Américains revient à prôner la réunification des révolutionnaires et des opportunistes au Canada, mais sous la bannière « principalement maoïste ». Malgré le fait qu’ils s’autoproclament de manière pompeuse comme étant « à la gauche » de notre parti, ils adoptent en réalité une position liquidatrice favorisant la victoire de l’oppor­tu­nisme de droite. Mais tout cela n’est pas si étonnant, car comme nous le verrons plus loin lorsque nous aborderons l’essentiel, les « maoïstes » américains, en dépit de leur discours gauchiste, ne sont en fait que les héritiers directs des opportunistes canadiens.

Revenons à l’offensive générale du PCB (FR) et des partisans de la tendance idéaliste. Ceux-ci affirment vouloir mener une lutte entre les deux lignes au sein du « mouvement communiste international » afin d’unifier le mouvement autour d’une conception juste du maoïsme et de donner ainsi une nouvelle impulsion à la révolution mondiale. Tout d’abord, une chose doit être rectifiée. Il n’existe pas, actuellement, une telle chose qu’un mouvement maoïste international à proprement parler. Ce qui existe, ce sont des partis et des organisations maoïstes avec des liens plus ou moins forts entre eux, et dans bien des cas sans liens du tout. Pour qu’un mouvement existe, il doit y avoir une unité, même si elle est relative : des objectifs communs, des échanges d’expériences réguliers, une collaboration étroite et des liens organisationnels solides. S’il n’y a pas d’unité du tout, il n’y a pas de mouvement. Dans l’histoire, le seul moment où un mouvement maoïste international a existé réellement, c’était lorsque le Mouvement révolutionnaire internationaliste (MRI) était en place. Ironiquement, cette expérience, les partisans de la tendance idéaliste la rejettent sous prétexte que le MRI défendait une conception « décousue et éclectique » du maoïsme. Le PCB (FR) a déclaré l’an dernier que « dans le monde d’aujourd’hui, contrairement à la période de fondation ou d’existence du MRI, un mouvement communiste international revitalisé a fleuri et s’est développé ». C’est là une affir­ma­tion hallucinante totalement déconnectée de la situation mondiale réelle. Les partisans de la tendance idéaliste font un usage réducteur de l’expression « mouvement communiste international » et de son acronyme « MCI », ce qui ne sert aucunement à la reconstitution d’un véritable mouvement international, loin de là. En effet, à les entendre parler, ce qui doit être recons­titué existe déjà. En fait, ils inventent dans leur tête un mouvement qui n’existe tout simplement pas afin de mettre de l’avant une lutte idéologique stérile et désincarnée. Aussi, les événements récents ont confirmé que non seulement les partisans de la tendance idéaliste et les véritables maoïstes ne font pas partie d’un même mouvement, mais que ce scénario ne se produira jamais. En effet, les options politiques défendues de part et d’autre sont tellement divergentes qu’elles sont inassimilables les unes aux autres.

Par ailleurs, bien qu’il soit nécessaire de lutter contre l’état de dispersion actuel, ce n’est pas l’état du « mouvement international » qui bloque présentement la progression de la révolution dans les différents pays, contrairement à ce que laissent entendre le PCB (FR) et ses partisans. Ce qui bloque présentement les différentes progressions nationales, c’est la difficulté à résoudre les questions réelles et vivantes de la révolution à l’échelle nationale, notamment la difficulté à développer une juste appréciation de la période historique, à se lier aux grands groupes qui constituent le prolétariat et les masses populaires et à développer une stratégie et une tactique justes pour monter vers le pouvoir. C’est en affinant notre capacité à faire des analyses concrètes que l’on parviendra à résoudre ces questions (ce que les partisans de la ligne idéaliste se refusent justement à faire, préférant les formules aprioristes aux vraies analyses). La tâche principale, à l’heure actuelle, n’est donc pas de viser à développer rapidement l’unité internationale en organisant de manière précipitée des rencontres et des conférences et en mettant hâtivement sur pied une nouvelle organisation inter­nationale. Les partisans de la tendance idéaliste s’imaginent que c’est en parvenant à s’unifier autour d’une sorte de pureté idéologique – par ailleurs fondée sur des conceptions complètement erronées – qu’ils vont réussir à reconstituer le mouvement international et à débloquer ainsi les différentes stagnations nationales. Ils mettent de l’avant une fausse solution à la faiblesse actuelle de la révolution mondiale, une solution opportuniste qui leur permet de masquer leur incapacité à résoudre les problèmes pratiques et concrets de la lutte révolutionnaire.

En plus d’être une solution illusoire aux problèmes réels rencontrés par les organisations révolutionnaires dans le monde, la lutte idéologique menée par les partisans de la tendance idéaliste est une attaque éhontée contre les partis dirigeant les mouvements révolutionnaires les plus avancés actuellement, c’est-à-dire le Parti communiste d’Inde (maoïste) et le Parti communiste des Philippines. En effet, la position développée par la tendance idéaliste revient à ranger ces partis dans le camp des liquidateurs de droite et des révisionnistes puisqu’ils ne reconnaissent pas les « contributions à validité universelle de la Pensée Gonzalo » et qu’ils ont également une « conception éclectique » du maoïsme. En fait, la ligne idéaliste, derrière le paravent de l’appui à une guerre populaire imaginaire qui n’aurait jamais cessé au Pérou, s’oppose aux guerres populaires réelles en cours actuellement. En plus de rejeter les expériences contemporaines les plus importantes, les partisans de la tendance idéaliste se désintéressent complètement, au mieux, et rejettent purement et simplement, au pire, les expériences des quarante dernières années hormis celle de la guerre populaire au Pérou (dont ils font, par ailleurs, une lecture strictement idéologique qui passe complètement à côté de l’essentiel). Comme nous l’avons dit plus haut, les partisans de la tendance idéaliste rejettent l’expérience du MRI, une expérience qui correspond pourtant au seul mouvement maoïste international ayant existé à ce jour. De la même manière, les partisans de la tendance idéaliste font preuve d’un manque flagrant de respect pour l’expérience de la guerre populaire au Népal – une expérience pourtant aussi riche d’enseignements que celle du Pérou. Bien qu’il s’agisse d’une expérience moins importante à l’échelle internationale, nous pourrions également ajouter que leur rejet en bloc et sans nuances du RCP-USA, qui a tout de même historiquement été l’organisation maoïste la plus développée en Amérique du Nord et dont la contribution a été principalement positive jusqu’au début des années 1980, témoigne de leur incapacité à analyser la pratique concrète et même simplement à s’y intéresser. D’ailleurs, à force d’utiliser à outrance la notion pédante et désormais inutile « d’avakianisme », les partisans de la ligne idéaliste jettent un écran de fumée sur l’expérience réelle du RCP-USA et sur celle du MRI, ce qui empêche de les analyser et de les comprendre. Il ne s’agit pas ici de remettre en question le rejet complet des positions révisionnistes développées par Avakian dans les années 2000. Ces positions devaient à l’époque être rejetées et elles l’ont d’ailleurs été. Par contre, le terme « avakianisme », désormais employé comme un épouvantail, est une coquille vide qui n’aide en rien à comprendre la pratique concrète passée et actuelle, et qui ne permet même pas de caractériser correctement les véritables déviations droitières que l’on rencontre aujourd’hui.

L’offensive idéologique du PCB (FR) et des partisans de la tendance idéaliste constitue, dans son ensemble, un exercice de construction opportuniste visant à constituer rapidement et à bas prix un petit réseau d’alliances internationales avec des organisations et des groupes immédiatement accessibles, dont certains ont une activité réelle très faible, voire inexistante, et dont les autres ont une pratique qui dévie complètement de ce qui est attendu de la part d’organisations communistes. D’ailleurs, à cet égard, le PCB (FR) se comporte de manière honteuse en alimentant et en soutenant, dans les pays impérialistes, des mouvements développant une pratique s’éloignant à ce point des tâches incombant aux organisations maoïstes. La constitution de ce réseau international, au moyen d’une lutte idéologique désincarnée visant à imposer une définition « pure » – et complètement anti-matérialiste – du maoïsme, est vue comme la solution magique qui permettra à la révolution de progresser dans la monde. En vérité, si cet exercice permet aux partisans de la tendance idéaliste de faire quelques gains à court terme, il s’agit d’une impasse à moyen terme, pour eux comme pour les autres. Le PCB (FR) se fourvoie complètement en pensant que c’est à travers une lutte idéologique sur la définition du maoïsme qu’il va donner une nouvelle impulsion à la révolution prolétarienne mondiale. Nous croyons que cet enfermement dans une lutte idéologique outrancière coupée de toute pratique et indépendante de toute progression matérielle provient en grande partie d’une conception idéaliste de la révolution culturelle chinoise, conception qui a largement circulé dans les milieux intellectuels dans les dernières décennies. En fait, comme nous le verrons plus loin, la lutte idéologique des partisans de la tendance idéaliste est un calque superficiel de la pratique de la révolution culturelle en Chine.

Nous assistons aujourd’hui à un procès de sectarisation du maoïsme, c’est-à-dire au rétrécissement de la capacité du maoïsme à transformer le monde objectif, à diriger des mouvements réels et à rayonner sur les larges masses partout sur la planète. Répétons-le : l’enfermement du maoïsme dans la définition anti-matérialiste que cherche à imposer le PCB (FR) constitue une rupture avec l’héritage du prolétariat international, de même qu’un rejet des mouvements révolutionnaires qui existent ailleurs que dans le monde immaculé des idées. Examinons maintenant le contenu de la redéfinition en question afin de montrer en quoi ses propagateurs ne sont rien d’autres que des charlatans idéalistes.

Partir du monde matériel au lieu de cibler l’ombre de la réalité

Au cœur du marxisme se trouve la conception matérialiste du monde et de l’histoire humaine. Il est impossible d’être marxiste – et donc d’être maoïste – si l’on ne s’en tient pas fermement à cette conception. En effet, le marxisme est né dans le combat contre la philosophie idéaliste, c’est-à-dire contre la conception du monde selon laquelle les idées et la conscience priment sur la matière et la nature. Les idéalistes, eux, affirment qu’il faut partir des idées pour expliquer le monde. Être matérialiste, au contraire, c’est partir du monde matériel pour en extraire des concepts qui le re­flètent adéquatement ; c’est reconnaître que la matière est première et que la conscience est seconde ; c’est reconnaître l’existence des choses en soi, c’est-à-dire l’existence des choses en dehors de la pensée humaine ; c’est partir des choses pour aller à la conscience et non l’inverse. Appliquée à l’histoire des sociétés humaines, la conception matérialiste nous oblige à reconnaître qu’à la base de leur évolution se trouve le développement de la vie matérielle et non le développement de la pensée et des concepts. Autrement dit, pour les marxistes, c’est le développement de la production et la lutte des classes qui expliquent le fonctionnement et la transformation des sociétés, et non l’émergence de telles ou telles idées – qu’il s’agisse des idées philosophiques, politiques, juridiques ou artistiques. Aussi, pour les marxistes, la connaissance du monde objectif ne peut être séparée de la pratique, c’est-à-dire de l’acte de transformation de la matière. Or, on ne transforme pas la réalité par les idées, mais bien par l’action. C’est pourquoi les marxistes ont toujours insisté sur la nécessité de l’action communiste réelle pour transformer la société. D’ailleurs, dès les années 1840, Marx écrivait : « Pour abolir l’idée de la propriété privée, le communisme pensé suffit entièrement. Pour abolir la propriété privée réelle, il faut une action communiste réelle. » (Manuscrits de 1844) C’est aussi à travers l’action communiste réelle que l’on vérifie la validité de nos idées, que l’on vérifie si elles reflètent adéquatement le monde objectif. Bref, sans action révolutionnaire, les idées que l’on se fait sur la société ne peuvent être vérifiées.

Les marxistes ont toujours lutté fermement pour défendre la conception matérialiste du monde contre l’influence pernicieuse de l’idéalisme propagé par les classes dominantes. Parmi les grandes batailles contre l’idéalisme philosophique ayant jalonné l’histoire du communisme, il faut mentionner les luttes qui ont marqué la période de genèse du matérialisme historique, notamment les polé­miques de Marx et Engels dans les années 1840 contre les jeunes hégéliens Bruno Bauer et Max Stirner, ainsi que leur combat contre les courants socialistes utopiques. Une autre bataille importante, plusieurs décennies plus tard, a été la lutte de Lénine parmi les bolchéviques contre Bogdanov et ses partisans pendant la période de reflux qui a suivi la grande montée révolutionnaire de 1905-1906 en Russie. Aujourd’hui, plus d’un siècle après ces combats acharnés, il serait insensé de faire marche arrière et d’abandonner le matérialisme au profit de l’idéalisme. Pourtant, c’est bien ce que font le PCB (FR) et les autres partisans du courant « principalement maoïste ». Leur exercice de redéfinition du maoïsme est une rupture complète avec le matérialisme historique – et donc avec le fil conducteur de l’histoire du communisme. En effet, la conception qu’ils développent revient à cesser de s’inté­resser à la vie matérielle pour se réfugier dans le domaine de la pensée et de l’idéologie, à accorder la primauté aux concepts et à leur énonciation plutôt qu’au monde matériel et à sa transformation. Elle privilégie l’idéologie au détriment de la pratique et de l’expérience concrète. Elle conduit à penser qu’on peut transformer la réalité objective avec des idées et elle amène à se détacher de l’action communiste réelle. Elle fait émerger une politique « révolutionnaire » qui ne travaille que sur l’expression des choses. En somme, elle donne lieu à une forme de dogmatisme idéaliste qui ne s’attarde qu’aux mots et pour lequel la révolution n’est qu’un fantasme. Ce radicalisme de la phrase peut très bien se juxtaposer à une pratique n’ayant rien de communiste, ni de révolutionnaire. Comme nous le verrons, le verbiage littéraire se juxtapose même parfaitement avec la pratique issue d’un courant représentant une autre forme d’idéalisme philosophique : le postmodernisme.

Mais revenons d’abord à la conception du maoïsme défendue par le PCB (FR) et par les autres partisans de la tendance « principalement maoïste ». Ceux-ci remplacent le maoïsme tel qu’il a existé historiquement par un « maoïsme » idéaliste, une position de rupture avec l’expérience révolutionnaire réelle. D’abord, ils affirment que le maoïsme est né d’une synthèse faite par Gonzalo et le PCP dans les années 1980 et qu’il est impossible d’en avoir une conception juste si l’on ne part pas de cette soi-disant synthèse. Ensuite, ils affirment également qu’en « synthétisant » le maoïsme, Gonzalo a développé des concepts nouveaux ayant une validité universelle, que ces contributions ont été inclues dans la définition originelle du maoïsme et qu’elles doivent donc être aujourd’hui reconnues et assimilées par toutes les organisations maoïstes. Fina­lement, ils affirment qu’il est nécessaire d’ajouter l’expression « principalement maoïste » à la suite du terme « marxiste-léniniste-maoïste » étant donné que le maoïsme est non seulement la troisième étape, mais l’étape supérieure de développement du marxisme. Nous allons tout d’abord nous attarder à la notion de « synthèse du maoïsme » par Gonzalo et le PCP, car c’est cette notion qui est au cœur de la conception idéaliste du maoïsme développée par le PCB (FR) et par ses partisans.

Prétendre que le maoïsme n’existait pas avant d’être « synthésisé » par Gonzalo, ou encore que le léninisme n’existait pas avant de l’être par Staline, c’est tout simplement abandonner le matérialisme historique pour adopter une conception idéaliste de l’histoire. En effet, ceux qui affirment une telle chose font l’histoire des idées au lieu de faire l’histoire du monde matériel, de la lutte des classes. La preuve, c’est qu’ils s’intéressent à l’apparition durable du terme « maoïsme » plutôt qu’à l’expérience historique qui généré son contenu. Aussi, ils donnent tout le poids à une initiative idéologique portant sur le maoïsme (celle du PCP dans les années 1980) plutôt qu’à l’expérience constitutive du maoïsme (celle de la révolution chinoise). En d’autres mots, ils ciblent l’ombre de la réalité au lieu de cibler le monde matériel. Accepter la notion de « synthèse » du maoïsme par Gonzalo revient à accepter que les concepts et la théorie se développent en vase clos, indépendamment de la pratique, et que le progrès révolutionnaire peut s’accomplir à l’extérieur de la réalité matérielle, dans le monde pur des idées. Soyons clairs : Staline n’a pas synthétisé le léninisme. Il a défendu le léninisme, ce qui est bien différent. Le léninisme n’est pas né avec la parution de l’ouvrage Les principes du léninisme (un texte servant à expliquer de manière simplifiée ce qu’est le léninisme et à le populariser), mais bien avec la pratique de la révolution bolchévique et avec les écrits théoriques de Lénine. De la même manière, Gonzalo n’a pas synthétisé le maoïsme. Il l’a défendu. Le maoïsme n’a pas été inventé par le PCP dans les années 1980 : le maoïsme est né des contributions théoriques de Mao Zedong, de la pratique de la révolution chinoise et principalement de la pratique de la guerre populaire prolongée en Chine. Pour le formuler de manière résumée, le maoïsme, c’est la somme des acquis politiques et militaires de l’expérience de la guerre populaire et du front uni en Chine, à laquelle s’ajoutent les acquis politiques de la période de construction du socialisme, de la période de lutte contre le révisionnisme moderne et de la révolution culturelle – c’est-à-dire les acquis de l’expérience de continuation de la lutte des classes sous le socialisme qui s’est achevée en 1976.

Aussi, il est erroné de prétendre, comme le font les partisans de la tendance idéaliste, qu’il existerait une différence fondamentale entre la Pensée Mao Zedong et le maoïsme. Comme l’affirme le Parti communiste d’Inde (maoïste) dans un document de fondation, il n’y a pas de « muraille de Chine » entre les deux. En vérité, il n’y a aucune différence sur le plan du contenu puisque dans les deux cas, il s’agit des acquis théoriques de la même expérience. Il ne s’agit pas ici de nier qu’il y a eu historiquement, devant la débandade du mouvement international à l’époque, une utilité politique à utiliser et à promouvoir le terme « maoïsme » au lieu du terme « pensée Mao Zedong », ni à nier que la première expression est plus appropriée que la deuxième. Cela dit, nous ne commettons aucune erreur théorique en appelant aujourd’hui « maoïstes » les militants révolutionnaires qui se réclamaient autrefois de la Pensée Mao Zedong (par exemple les révolutionnaires indiens ou philippins des années 1960, révolutionnaires directement inspirés par la révolution en Chine). En vérité, les ML Pensée Mao Zedong et les maoïstes des trente dernières années se sont appuyés sur les acquis théoriques de la même expérience révolutionnaire, soit ceux de l’expérience chinoise. Ces acquis (l’organisation d’une guerre civile révolutionnaire et d’un front uni) étant fondamentaux, les organisations qui les ont appliqués en sont venues à réaliser le maoïsme, et ce, peu importe comment elles se nommaient ou se concevaient.

S’il faut souligner l’effort honorable du PCP et de Gonzalo déployé dans les années 1980 pour défendre la valeur universelle du maoïsme et pour que son acceptation soit généralisée, nous sommes forcés de reconnaître qu’à l’échelle de l’histoire de la lutte des classes, il s’agit d’un événement mineur, complètement secondaire par rapport à l’expérience de la révolution chinoise. L’adoption du terme « maoïsme » par le mouvement communiste, bien qu’elle était souhaitable et nécessaire, n’a absolument rien changé au contenu de la théorie révolutionnairedont nous nous servons. C’est une erreur du mouvement international d’avoir insisté à outrance sur le remplacement d’une expression par une autre, et ce, sans apporter les clarifications nécessaires, et d’avoir ensuite toléré l’idée erronée qui en a découlé, celle d’une évolution autonome de la théorie et d’une sorte de passage métaphysique de la « Pensée Mao Zedong » au « maoïsme ». C’est entre autres cette erreur qui a ouvert la porte au type d’idéalisme que l’on rencontre aujourd’hui.

La conception idéaliste du maoïsme conduit à de nombreuses aberrations théoriques. Pour prendre la mesure de l’absurdité de leur conception, il suffit d’examiner les assertions des partisans de la tendance idéaliste à propos de la « Pensée Gonzalo » et de sa soi-disant nécessité pour comprendre le maoïsme. Par exemple, le PCB (FR), dans son texte Combat liquidationism and unite the ICM under Maoism and the People’s War, affirme ce qui suit :

« Gonzalo thought is the creative application of Marxism-Leninism-Maoism to the Revolution in Peru through People’s War, without which we could not understand Maoism. »

« The People’s War in Peru led by the PCP and Gonzalo thought gave us Maoism […]. »

Ces phrases n’ont évidemment aucun sens. En effet, selon les Brésiliens, la Pensée Gonzalo est à la fois l’application du maoïsme à la réalité spécifique du Pérou et la matrice du maoïsme ! On est ainsi entraîné dans une sorte de spirale sans fin, une spirale idéaliste.

Les partisans de la tendance idéaliste affirment également que le 9e congrès du Parti communiste chinois, tenu en 1969 en pleine révolution culturelle, n’était pas un congrès maoïste puisque le mot « maoïsme » n’a pas été utilisé ! Prétendre que Marx n’était pas marxiste, que Lénine n’était pas léniniste et que Mao n’était pas maoïste est une absurdité. Il s’agit d’une construction intellectuelle non seulement inutile et prétentieuse, mais nuisible : elle génère une immense confusion sur la manière dont nous devons appréhender l’expérience et la théorie révolutionnaires. Les sciences, à travers la pratique, produisent des connaissances. Il s’agit ensuite d’étudier directement ces connaissances et non pas de s’en servir comme fondations pour construire un édifice idéaliste et superflu. Les partisans de la tendance idéaliste s’intéressent à l’inter­prétation de la théorie plutôt qu’à la théorie elle-même : leur position revient à construire un discours idéologique au-dessus des sciences au lieu de s’intéresser aux connaissances qu’elles produisent à travers la pratique. La conception idéaliste génère également beaucoup de confusion sur la notion de « synthèse » en laissant entendre que Marx, Lénine et Mao n’ont pas produit de synthèse de leurs propres analyses et de leurs propres expériences ! Cela conduit à considérer un texte résumant de manière simplifiée ce qu’est le maoïsme – le document Sur le marxisme-léninisme-maoïsme du PCP – comme étant « la » synthèse du maoïsme, et donc à passer à côté des vraies synthèses contenues dans le maoïsme et qui ne se trouvent nulle part ailleurs que dans les œuvres de Mao Zedong ! En d’autres mots, on en vient à se couper de la théorie révolutionnaire !

La conception idéaliste du maoïsme conduit à vider l’héritage révolutionnaire de tout contenu et mène à un rétrécissement de la capacité à maîtriser l’expérience indirecte. Elle empêche de s’em­parer réellement de la théorie pour transformer le monde. Elle conduit à construire un discours sur le maoïsme au lieu de saisir son essence, puis à construire un discours sur ce discours, en s’embourbant par exemple dans des réflexions sans fin sur ce qu’est une nouvelle étape, sur ce qu’est une « pensée » et sur ce qu’est un « isme ». Elle amène à développer une conception – ou encore une interprétation – des données produites par les sciences au lieu d’assimiler ces données, puis à développer une interprétation de cette interprétation, etc. En refusant de partir de la base matérielle de la théorie, c’est-à-dire de la lutte des classes, les partisans de l’idéalisme historique se coupent de l’expérience accumulée du prolétariat international. Ils perdent ainsi non seulement toute faculté à comprendre les expériences passées (la révolution d’Octobre, la révolution chinoise, la 3e Internationale, la résistance communiste en Europe, les guerres contre l’impérialisme français et américain au Vietnam, la guerre populaire au Pérou, au Népal, en Inde et aux Philippines, les Brigades rouges, la Gauche prolétarienne, etc.), mais également toute faculté à analyser et à comprendre la pratique actuelle.

Le PCB (FR) et ses partisans abandonnent l’analyse concrète de situations concrètes pour verser dans l’apriorisme le plus total. Au lieu d’extraire leurs idées des faits objectifs, ils essaient de faire correspondre la réalité objective à leurs idées. Cela les amène à enchaîner des formules et des slogans qui ne se rattachent à aucune base matérielle et qui ne servent qu’à attester de la plus grande « pureté » idéologique possible. Ces formules et ces slogans peuvent apparaître très « à gauche », mais ils sont en réalité complètement vides, voire entièrement erronés, et ne servent aucune­ment le progrès révolutionnaire. Par exemple, les partisans de la tendance idéaliste affirment que nous sommes présentement dans « l’offen­sive stratégique de la révolution mondiale » pour la simple raison que cette idée fait partie de la « Pensée Gonzalo » et sans qu’aucune donnée factuelle ne vienne le démontrer. En réalité, tous les faits montrent que la révolution mondiale se trouve dans une période de reflux depuis la contre-révolution de 1976 en Chine (comme l’avait correctement reconnu le MRI dans sa déclaration de 1984). Mais étrangement, pour les idéalistes, le fait qu’il n’existe plus aucun État socialiste dans le monde, le fait que le prolétariat mondial n’ait pas connu de victoire majeure depuis les années 1970 et le fait que le mouvement communiste soit quasiment disparu dans les pays impérialistes ne sont pas importants. Pour eux, il est interdit de remettre en question l’idée de « l’offensive stratégique de la révolution mondiale », puisque cela irait à l’encontre de la « Pensée Gonzalo ». Or, refuser ainsi de caractériser correctement la situation mondiale actuelle revient à s’empêcher de voir les problèmes réels et donc à s’empêcher de les résoudre. On en vient plutôt à adopter une attitude triomphaliste et à faire de la révolution un simple fantasme. C’est le même genre d’exercice aprioriste qui conduit le PCB (FR) et ses partisans à affirmer qu’il y a encore une guerre populaire en cours au Pérou sans qu’aucun fait ne vienne prouver cette assertion. Pourtant, une guerre populaire est une chose en soi et non un rêve ou un produit de l’imagination. C’est un processus matériel que l’on peut observer et connaître ; ce n’est pas seulement quelque chose qui existe dans la conscience. Aussi, c’est un processus qui peut être interrompu et prendre fin, contrairement à ce que laissent entendre les idéalistes, lesquels semblent considérer que la guerre populaire ne peut jamais être vaincue une fois qu’elle a été déclenchée. En affirmant qu’il y a présentement une guerre populaire au Pérou, les partisans de la tendance idéaliste ne font que rabaisser ce qu’est la guerre populaire prolongée.

De la même manière, le slogan « guerre populaire jusqu’au communisme », sous ses allures radicales, représente soit un rabaissement de ce que signifie le terme guerre populaire, soit un rabaissement de ce qu’est la dictature du prolétariat. La guerre populaire prolongée est une forme d’action révolutionnaire et une stratégie militaire pour désarmer et anéantir les forces militaires de l’ennemi de classe et pour prendre le pouvoir. Une fois que le pouvoir a été conquis à l’échelle nationale et que les forces armées ennemies ont été écrasées, l’affrontement militaire prend fin pour la simple raison qu’il n’y a plus d’adversaire militairement organisé à affronter ! Si l’on considère que la guerre populaire se poursuit après la prise du pouvoir, c’est soit que l’on confond la guerre populaire avec la lutte des classes en général, soit que l’on considère que la prise du pouvoir n’en est pas vraiment une. En vérité, la dictature du prolétariat est un pouvoir établi qui n’est pas constamment déstabilisé par la guerre civile et menacé d’anéantis­se­ment par un ennemi intérieur encore armé. Bien que les partisans du slogan « guerre populaire jusqu’au communisme » puissent donner l’impression qu’ils prônent une version radicalisée de la dictature du prolétariat, ce qu’ils défendent en réalité est l’im­possibilité d’exercer la dictature sur la bourgeoisie ! En effet, si le prolétariat doit recourir à la lutte armée, c’est parce qu’il n’a pas la force nécessaire pour mater la bourgeoisie et pour l’empêcher de lutter par des moyens militaires. En d’autres mots, c’est parce que le pouvoir lui échappe ! Les partisans de ce slogan nient ainsi la possibilité et la nécessité d’établir des États socialistes, possibilité et nécessité qui ont pourtant été amplement démontrées par l’expérience historique. Au lieu de s’appuyer sur cette expérience, ils préfèrent inventer un monde imaginaire séparé de toutes prémisses matérielles, ce qui les conduit à défendre une aberration théorique.

Contre les attaques des partisans de l’idéalisme visant à dénaturer le marxisme, nous devons nous en tenir fermement au matérialisme historique. Nous devons défendre le maoïsme tel qu’en lui-même, c’est-à-dire le maoïsme non pas comme un domaine à interpréter, mais comme une science devant être étudiée. Comme nous l’avons dit, le maoïsme tel qu’en lui-même, c’est le maoïsme tel qu’il a émergé historiquement à travers la pratique de la révolution chinoise, une grande expérience victorieuse qui a modifié profondément et dura­blement la façon de lutter des masses populaires partout sur la planète, comme l’avait fait la révolution d’Octobre. Les découvertes faites par les sciences, lorsqu’elles sont réellement importantes, se généralisent « naturellement » et finissent par toucher des millions et des millions de personnes. C’est pour cette raison que suite aux grandes révolutions victorieuses qu’ont été la révolution bolchévique et la révolution chinoise, il n’y a pas eu de progrès révolutionnaire sans que ne soit reprise la matrice qu’elles ont générée. Par matrice, nous entendons ici les éléments centraux d’une expérience fondamentale, éléments qui fournissent une structure devant être reproduite pour que la révolution puisse progresser. La matrice du maoïsme, c’est la guerre civile et le front uni. Être matérialiste, c’est comprendre que c’est l’expérience révolutionnaire qui est la matrice de la théorie. Pour comprendre le maoïsme, il faut donc étudier l’expérience de la révolution chinoise et surtout l’expérience de la guerre populaire en Chine.

Le maoïsme tel qu’en lui-même, c’est la théorie scientifique développée par Mao Zedong sur la base de cette grande expérience, en continuité avec la science développée par Marx et Lénine. Chacun de ces grands dirigeants révolutionnaires a été le représentant de quelque chose de réel, d’une situation objective ; chacun a été le reflet de son époque, l’expression politique de la lutte des classes à un moment donné de l’histoire ; chacun doit être considéré comme le représentant historique d’un grand jalon dans le combat du prolétariat international. Pour Marx, il s’agit entre autres de la naissance du mouvement ouvrier et du matérialisme dialectique. Pour Lénine, il s’agit de la victoire politique de la voie révolutionnaire contre l’opportunisme, du surclassement de la social-démocratie, de l’émergence d’un pouvoir exercé par les exploités et de la première expérience d’édification du socialisme. Pour Mao, il s’agit du mouvement communiste prenant la tête de l’éman­cipation des opprimés dans les pays dominés ; de l’élargissement de la révolution à la planète entière et de l’élargissement de la lutte révolutionnaire en termes de classes sociales impliquées ; de la guerre populaire prolongée, du front uni et de la démocratie nouvelle ; finalement, de la lutte contre le révisionnisme moderne et de la révolution culturelle.

Les partisans de la tendance idéaliste affirment que la « Pensée Gonzalo » contient des éléments ayant une valeur universelle, éléments indispensables pour comprendre le maoïsme et pour mener la guerre populaire. Ils affirment que le Président Gonzalo, en « synthétisant le maoïsme », a développé de manière profonde la théorie révolutionnaire. Par exemple, dans Combat liquidationism and unite the ICM under Maoism and the People’s War, le PCB (FR) écrit :

« On the other hand, no party can advance the central and principal task of reconstituting or constituting a CP to initiate the People’s War, without understanding and assuming the contributions of universal validity of Gonzalo thought […]. »

Si ce qu’affirment les Brésiliens est vrai, comment se fait-il que le Parti communiste chinois, plusieurs décennies avant l’émergence de la « Pensée Gonzalo », a réussi non seulement à diriger une guerre populaire, mais à la conduire jusqu’à la victoire ? Comment se fait-il que les communistes vietnamiens, plusieurs années avant la soi-disant « synthèse » du maoïsme, ont réussi à faire la même chose ? S’il est impossible de constituer un parti pour initier une guerre populaire sans avoir assimilé les « contributions à validité universelle de la Pensée Gonzalo », comment ont fait les maoïstes indiens et philippins pour commencer à diriger des guerres populaires réelles ?

En vérité, Gonzalo a très peu développé la théorie révolutionnaire et ses quelques apports sont sans commune mesure avec ceux de Marx, de Lénine et de Mao. D’ailleurs, l’essentiel de la contribution de Gonzalo à la révolution mondiale n’a pas résidé dans ses apports théoriques, mais bien dans la force et dans la justesse de sa direction politique et militaire. Aussi, l’expérience de la guerre populaire au Pérou, aussi héroïque et aussi riche d’enseignements soit-elle, est loin d’avoir eu, à l’échelle de l’histoire mondiale, une importance comparable à celle de la révolution bolchévique ou encore à celle de la révolution chinoise : elle n’a pas transformé l’époque et elle n’a pas permis de découvrir de grandes vérités nouvelles, c’est-à-dire de développer des notions supérieures à celles que l’on possède déjà pour faire la révolution. Cette affirmation est loin d’être extraordinaire : même les guerres de résistance vietnamiennes contre l’impérialisme français et américain, deux expériences spectaculaires qui ont pourtant eu une influence beaucoup plus grande que la guerre populaire au Pérou dans le monde et qui, contrairement à cette dernière, se sont soldées par des victoires, n’ont pas permis de découvrir de grandes vérités nouvelles. Cela ne signifie pas qu’il ne faut pas analyser et étudier l’expérience du Pérou – bien au contraire. Or, c’est justement ce que les partisans de la tendance idéaliste refusent de faire en s’enfermant dans une appréciation ultra-idéologique de la guerre populaire au Pérou, en s’adonnant à des élucubrations complètement vides sur les « contributions à validité universelle de la Pensée Gonzalo » et en s’enfonçant dans des réflexions stériles sur ce qu’est une « pensée guide » ! Les contributions théoriques de Marx, Lénine et Mao ont une grande profondeur : dans leurs œuvres, tout est expliqué de manière magistrale, en long et en large, et surtout, tout est prouvé par des faits, par des données issues de la pratique et de l’expérience. Il en va tout autrement des notions tape-à-l’œil mises de l’avant par la tendance idéaliste, lesquelles devraient être acceptées sans explications pour la seule raison qu’elles ont prétendument été inclues dans la « synthèse » du maoïsme – un procès de reconceptualisation qui n’a eu lieu que dans la tête des idéalistes ! Au lieu de définir de manière rigoureuse leurs concepts, les partisans de la tendance idéaliste cherchent à nous éblouir en répétant ad nauseam les mêmes termes vides et en stigmatisant ceux qui ne les emploient pas. Il ne s’agit de rien d’autre que d’un exercice petit-bourgeois de prestidigitation intellectuelle.

Nous croyons que la tendance idéaliste trouve son origine dans une interprétation anti-matérialiste de la révolution culturelle, interprétation dominante qui a eu une influence profonde et néfaste dans les dernières décennies, qui a conduit le mouvement communiste à tolérer et à entretenir des idées erronées et qui a fait émerger des définitions complètement anti-matérialistes du maoïsme. Selon cette interprétation, l’essentiel de la révolution culturelle a consisté en une lutte idéologique dans la superstructure, plutôt qu’en une lutte révolutionnaire centrée sur l’infrastructure et visant à poursuivre la transformation des rapports de production pour libérer davantage les forces productives. Cette interprétation a conduit à une exagération de l’importance de la superstructure et du rôle des idées dans le procès révolutionnaire, et a entretenu l’idée de la primauté de l’idéologie sur la production et sur l’action révolutionnaire dans la lutte des classes. Cette interprétation idéaliste de la révolution culturelle a évidemment ébloui un grand nombre d’intellectuels et de militants petit-bourgeois des pays impérialistes obsédés par le domaine de la culture et des mœurs. Un bon nombre de ces militants se sont même mis à agir comme s’il était possible de révolutionner la superstructure sans transformer la base économique et avant même la prise du pouvoir ! Ce faisant, ils se sont désintéressés complètement de la réalité de la production et de la pratique révolutionnaire réelle. Au Canada, nous avons ainsi assisté à l’émergence d’un maoïsme strictement culturel et idéologique, d’un pseudo-maoïsme petit-bourgeois qui n’était en fait rien d’autre qu’une forme de militantisme post­moderne camouflé derrière un appui en parole au prolétariat et à la guerre populaire. L’idée saugrenue d’une « révolution culturelle » au sein du RCP-USA, mise de l’avant par Bob Avakian dans les années 2000, trouvait également ses fondements dans la même interprétation erronée de la révolution culturelle. Malheureusement, ces idées ont aussi existé au sein du mouvement communiste international et ont trop longtemps été tolérées. Par exemple, voici ce qu’on peut lire dans la Déclaration du MRI de 1993 :

« À l’évidence, la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne représente une épopée de l’histoire mondiale de la révolution, un sommet victorieux pour les communistes et les révolutionnaires du monde, une réalisation impérissable.

Bien qu’il nous reste un long chemin à parcourir, cette révolution nous a légué d’importantes leçons que nous appliquons déjà comme, par exemple, l’idée que la transformation idéologique est fondamentale pour que notre classe prenne le pouvoir. »

Ce genre d’affirmation, sans être entièrement dans l’erreur, a mis trop d’emphase sur le rôle de l’idéologie et, en l’absence des précisions qui auraient dû être apportées, a généré énormément de confusion. On peut comprendre que ces erreurs aient été commises à l’époque, la révolution culturelle venant tout juste de prendre fin et la défaite du socialisme en Chine ayant plongé le mouvement international dans un état de désorganisation. Cependant, un peu plus de 40 ans après la fin de la révolution culturelle en Chine, il serait temps de tourner la page. Il ne s’agit pas ici de nier toute fonction à la lutte idéologique ou de nier que la superstructure doit également être transformée au cours du processus révolutionnaire suivant la prise du pouvoir. Il s’agit simplement de revenir aux postulats de base, justes et vrais, du matérialisme historique – notamment à la primauté de l’infrastructure sur la superstructure – et de se recentrer sur ce qui a toujours été au cœur du marxisme, c’est-à-dire l’action communiste réelle et la lutte pour la transformation des rapports de production.

Les définitions idéalistes du maoïsme ont également été encouragées par l’idée que c’est la révolution culturelle qui a constitué l’événement le plus important de toute la révolution chinoise, l’expérience fondatrice du maoïsme. Toujours dans la Déclaration du MRI, on peut par exemple lire ce qui suit :

« Au cours de la révolution chinoise, Mao avait développé le
Marxisme-Léninisme dans de nombreux domaines.

Mais ce fut l’épreuve de la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne qui a fait faire un bond à notre idéologie et que le troisième grand jalon, le Marxisme-Léninisme-Maoïsme, a complètement pris forme. »

Contrairement à ce qui a été avancé par le MRI et par d’autres, nous affirmons que la révolution culturelle chinoise, bien qu’il s’agisse d’une expérience hautement positive et porteuse d’ensei­gne­ments fondamentaux, est un événement de moins grande importance que l’expérience de plus de vingt années de lutte armée et de front uni ayant précédé la prise du pouvoir de 1949. Nous disons que c’est principalement – voire presque entièrement – dans l’expérience de la guerre populaire prolongée en Chine que le maoïsme trouve son origine matérielle, et seulement de manière secondaire dans la révolution culturelle. La révolution culturelle, bien qu’elle ait produit des formes de lutte nouvelles et qu’elle ait révélé des vérités importantes, n’a pas fait émerger de forme achevée et définitive, alors que les années de combat précédant la prise du pouvoir, elles, ont révélé une nouvelle forme objective de l’action révolutionnaire pour permettre aux masses populaires de prendre le pouvoir : la guerre populaire prolongée.

L’enfermement dans la lutte idéologique ainsi que la quête de la plus grande « pureté » possible qui caractérisent le PCB (FR) et les autres partisans de la tendance idéaliste sont complètement contradictoires avec l’objectif de diriger une guerre populaire et de bâtir un front uni révolutionnaire. Il s’agit de déviations provenant de l’interprétation idéaliste de la révolution culturelle dont nous venons de tracer les contours. Les racines philosophiques de leur ligne politique sont donc les mêmes que celles des positions qu’ils prétendent combattre, par exemple celles développées par Bob Avakian dans les années 2000 avec sa « nouvelle synthèse », ou encore celles des opportunistes canadiens englués dans le postmodernisme et le militantisme culturel. D’ailleurs, lorsque l’on examine la pratique développée par le mouvement « maoïste » américain actuel (comme nous allons le faire plus loin), on s’aperçoit que cette pratique correspond, à quelques nuances près, au même militantisme petit-bourgeois et postmoderne que l’on retrouve chez les pseudo-maoïstes canadiens. De la même manière, l’idéalisme historique dans lequel versent les partisans du PCB (FR) est presque exactement le même que celui propagé par l’intel­lectuel révisionniste canadien Joshua Moufawad-Paul – ce que les « maoïstes » américains n’ont évidemment jamais été capables de relever dans les pitoyables polémiques qu’ils ont dirigées contre lui. En effet, Joshua Moufawad-Paul affirme lui aussi que le maoïsme est né d’un procès de reconceptualisation survenu après la mort de Mao et qu’il existe une différence fondamentale entre la pensée Mao Zedong et le maoïsme. Voici comment, par exemple, Joshua Moufawad-Paul résume son livre Continuity and Rupture :

« A philosophical examination of the theoretical terrain of contemporary Maoism premised on the counter-intuitive assumption that Maoism did not emerge as a coherent theory until the end of the 1980s. »

Alors que les Américains prétendent défendre une position radicalement opposée à celle de Joshua Moufawad-Paul, la « critique » qu’ils portent contre lui se résume à l’accuser d’avoir changé la date de la « synthèse » ! Voici ce qu’ils affirment par exemple dans leur texte Navigating the Canadian Split :

« By moving the date of the synthesis of MLM to the establishment of RIM in 1993, JMP ignores the emergence of MLM in Peru in 1982, a whole decade before the RIM statement. »

On voit bien que les partisans de la tendance idéaliste s’adonnent au même jeu intellectuel petit-bourgeois que Joshua Moufawad-Paul. Hormis quelques détails insignifiants, ils défendent essentiellement la même position. Par ailleurs, la notion erronée de « continuité et de rupture », aussi mise de l’avant par Joshua Moufawad-Paul, s’apparente aux positions des partisans de la tendance idéaliste et possède la même origine philosophique, et ce, même si les Américains ne cessent de la dénoncer. En fait, d’un côté comme de l’autre, on s’adonne au même genre de gymnastique intellectuelle petite-bourgeoise. Le couple continuité et rupture est une catégorie dialectique idéaliste (remplaçant les notions matérialistes de vérité relative et de vérité absolue) qui génère une conception métaphysique des étapes, conception qu’em­brassent autant les partisans de la tendance idéaliste que Joshua Moufawad-Paul. Pour ce dernier, chaque « étape » permet de rompre avec les erreurs et les problèmes intrinsèques de l’étape précédente. Par exemple, le passage de la Pensée Mao Zedong au maoïsme aurait soi-disant permis de rompre avec les problèmes inhérents à la Pensée Mao Zedong. Selon cette conception, les idées erronées avec lesquelles il faut rompre se situent à l’intérieur du marxisme au lieu de provenir de l’extérieur, c’est-à-dire de l’idéologie bourgeoise. On nage ainsi en plein révisionnisme !
Or, c’est à peu près la même idée que défendent les partisans de la tendance idéaliste. En effet, lorsque ceux-ci inventent, à l’instar de Joshua Moufawad-Paul, un passage métaphysique de la Pensée Mao Zedong au maoïsme et affirment qu’il existe de grandes différences entre les deux, ils font eux aussi référence, quoi qu’ils en disent, à un moment de rupture. Inventer, comme le font Joshua Moufawad-Paul et les partisans de la tendance idéaliste, un procès de reconceptualisation du maoïsme et prétendre que les acquis scientifiques doivent être « synthétisés » pour former un « système harmonieux », c’est nécessairement prôner la rupture avec ce qui précède rupture avec l’expérience historique et avec la science développée jusque-là. C’est inventer un moment où l’on rompt pour pouvoir verser ce que l’on veut dans le maoïsme. En effet, prétendre que le marxisme peut se développer en dehors de tout progrès révolutionnaire réel, c’est affirmer que les acquis de l’expérience sont insuffisants – voire qu’ils ne valent plus rien – et qu’il faut leur adjoindre des notions inventées, lesquelles finissent forcément par prendre toute la place. Ce n’est rien de moins qu’une révision de la théorie. Par exemple, voici ce qu’ont affirmé les « maoïstes » américains dans leur texte Toward the sea of Armed Masses à propos des « trois périodes » du maoïsme aux États-Unis, de l’expérience du RCP-USA et du passage de la pensée Mao Zedong au maoïsme :

« The second period imported the very same errors as the first, but Mao Thought had been elevated to MLM by the PCP. In spite of this, the only surviving Maoist organization failed to actually accept MLM in essence but adopted it in name only. It remained, in spite of its name and involvement in the founding of the Revolutionary Internationalist Movement, principally ML. This failure appeared innocent at first but showed itself over time to be nothing but a Trojan horse to smuggle in Avakianite revisionnism. […]

We are now in the third period of U.S. Maoism. And we must take it as our sacred duty to ideologically murder the remants of the second period. »

Ainsi, selon eux, le principal problème dans l’expérience du RCP-USA n’a pas été l’émergence et l’adoption de positions anti-marxistes et opportunistes, mais a plutôt résidé dans le fait que le RCP-USA est demeuré attaché à la « pensée Mao Zedong », soit à l’étape métaphysique précédant la naissance du « vrai » maoïsme. En affirmantla nécessité « d’assassiner idéologiquement les vestiges » de cette organisation « principalement ML », ils laissent entendre – de la même manière que Joshua Moufawad-Paul – que les idées erronées, plutôt que d’êtres induites par l’idéologie bourgeoise, sont inhérentes au léninisme et au marxisme !

De la même manière, le terme « principalement maoïste », à moins de ne rien vouloir dire, est un élément de rupture direct. Le marxisme-léninisme-maoïsme doit être compris comme une totalité. Si l’on accorde une valeur idéologique à l’expression « principalement maoïste », c’est que l’on prône la rupture avec le marxisme qui précédait le maoïsme – et même avec le maoïsme qui précédait la « synthèse » du maoïsme ! Le maoïsme n’a pas effacé les vérités et les lois découvertes par Lénine, pas plus qu’il n’en a réduit l’importance. De la même manière, le léninisme n’a pas réduit l’importance des contributions théoriques de Marx. Étudier L’impérialisme stade suprême du capitalisme de Léninene nous dispense d’aucune manière de l’étude du Capital de Marx, de la même manière qu’étudier la théorie militaire de Mao ne nous dispense nullement de l’étude de la notion de parti d’avant-garde centralisé de Lénine ! Or, c’est précisément ce qu’implique l’idée selon laquelle le maoïsme est l’élément « principal » ou « l’étape supérieure » du marxisme-léninisme-maoïsme ! Le maoïsme a prolongé et a étendu le marxisme qui le précédait tout en demeurant en parfaite continuité avec lui. Il est composé de nouvelles découvertes devant être additionnées aux anciennes, mais sans leur faire ombrage ! Malgré tous les développements qui surviennent dans les sciences et les techniques, malgré les progrès constants de la connaissance humaine se manifestant dans l’addition perpétuelle de nouvelles vérités, les lois objectives du monde demeurent et ne disparaissent pas. Le développement des sciences permet simplement d’aborder avec plus de précision les anciens phénomènes, de même qu’il permet d’en étudier de nouveaux. C’est pourquoi les défenseurs des notions de « continuité et de rupture », de « synthèse du maoïsme » et de « principalement maoïste », malgré quelques différences secondaires, défendent essentiellement la même conception. Celle-ci avait d’ailleurs été parfaitement résumée dans le document Condemned to win publié en 2016 par le collectif Red Guards Austin – l’organisation à l’origine de la direction actuelle du mouvement « maoïste » américain :

« Some “Maoists” still narrowly see Maoism as just the development of Marxism-Leninism, or worse yet just the contemporary name for ML. This is a rightist way of thinking that corrupts the best aspects of Maoist ideology into nothing but a name. We hold that it is the rupture with ML that constitutes the greatest accomplishments of Maoism and that it is principally Maoism that guides us on the revolutionary path. »

Bien que les Américains diront qu’ils rejettent désormais ce genre de formulation et bien qu’ils tentent maintenant de masquer leur révisionnisme en critiquant – de manière tout à fait superficielle – la notion de « continuité et de rupture », leur conception n’a pas changé sur le fond. Comme le PCB (FR) et les autres organisations de leur petit regroupement, ils sont toujours partisans de la rupture. Au lieu d’être en continuité avec l’héritage révolutionnaire en défendant le maoïsme tel qu’en lui-même, au lieu de suivre le fil conducteur de l’histoire du communisme, ils rompent avec cet héritage en défendant une version idéaliste du maoïsme.

Le gauchisme littéraire : un anti-matérialisme militant

Actuellement, l’effet le plus pernicieux de la ligne développée par le PCB (FR) et par les autres partisans de la tendance idéaliste, c’est de masquer, dans les pays impérialistes, le développement d’une pratique déviant complètement du travail de préparation concrète de la guerre populaire que sont censées mettre en œuvre les organisations maoïstes n’ayant pas déjà déclenché la lutte armée. Cette pratique opportuniste de droite, dont l’adoption revient à liquider la construction d’un véritable mouvement révolutionnaire prolétarien, consiste essentiellement en un calque des formes d’activité propres au militantisme postmoderne qui domine actuellement les milieux petits-bourgeois « progressistes » de ces pays. Ces formes d’activité sont d’ailleurs parfaitement en phase, comme nous l’avons vu dans la section précédente, avec l’idéa­lisme de la tendance « principalement maoïste ». Cela dit, l’énonciation de formules et de positions gauchistes, notamment centrées sur la notion de « militarisation » – un concept vide et inutile qui n’aide nullement à résoudre les difficultés pratiques entourant la question de la guerre populaire –, permet de détourner l’attention et de faire accepter sans questionnements ce type d’activité pourtant à des années lumières des formes d’action historiquement adoptées par le mouvement communiste. Aussi, l’enfermement des débats et des discussions dans une lutte idéologique perpétuelle autour de problèmes idéalistes et métaphysiques permet d’éviter d’abor­der frontalement les questions de pratique immédiate et de tactique, ce qui a pour effet de favoriser le sens commun petit-bourgeois, de perpétuer une sorte d’opportunisme par défaut et de permettre aux pseudos-maoïstes d’éviter d’être démasqués.

Dans son texte Lenin and the Militarized Communist Party, le PCB (FR) affirme ce qui suit :

« Today, some Maoist parties and organizations – which publicly assume that they prepared the initiation of the People’s War, especially in the imperialist countries, but not only in them – erect a “wall of China” between one phase and another, between the principally unarmed phase of the struggle to the phase of the principally armed struggle, with the construction of the New Power, the People’s War, thus they end up applying the revisionist thesis of the peaceful accumulation of forces, diverting from the path, and even degenerating into revisionist parties.

The supposed forms of “cold accumulation of forces”, though clothed with eloquent phrases of “Maoism” and “People’s War,” can not develop more than different kinds of demand-ism, frontism, economism, inevitably deriving into opportunism and revisionism, which seeks to justify its accommodation to bourgeois legality. »

Nous sommes tout à fait d’accord avec l’idée selon laquelle l’appui en paroles à la guerre populaire ne garantit en rien que l’on est en train de développer ce qui est nécessaire au déclenchement de celle-ci. Notre parti a d’ailleurs mené une lutte politique importante dans les dernières années au Canada contre des gens qui, derrière l’usage des mots « guerre populaire », se cantonnaient dans une activité purement réformiste et refusaient de s’emparer des formes de lutte permettant d’avancer vers le déclenchement de la lutte armée. Cependant, ce n’est pas en ajoutant aux « formules éloquentes sur le maoïsme et la guerre populaire » d’autres « formules éloquentes » sur la « militarisation » et la « construction concentrique » que l’on va régler le problème ! Ce n’est pas non plus en lançant des mots d’ordre inapplicables, comme par exemple celui « d’assumer dès les premiers jours la tâche de s’armer et de s’efforcer de diriger les luttes armées des masses », ou encore celui d’assumer « le développement de la lutte armée révolutionnaire […] simultanément à la constitution ou à la reconstitution du parti communiste », que le PCB (FR) contribue à résoudre quoi que ce soit. D’ailleurs, les partisans de la tendance idéaliste eux-mêmes n’appliquent pas ces mots d’ordre idéalistes. Plus encore, ces mots d’ordre ne correspondent même pas à l’expérience du PCP dont le PCB (FR) prétend s’inspirer ! En fait, en s’attardant à tracer de nouvelles lignes de démarcation entre révolutionnaires et opportunistes dans le discours sur la guerre populaire plutôt que dans la pratique concrète, le PCB (FR) renforce le problème qu’il prétend combattre. En versant dans une telle forme de « radicalisme » littéraire, il jette un écran de fumée supplémentaire sur la pratique, propage la confusion dans les rangs communistes et crée les conditions pour que l’opportunisme soit encore plus difficile à déceler qu’avant. C’est ainsi que l’on assiste encore une fois, dans les pays impérialistes, au développement d’un « maoïsme » petit-bourgeois, d’un pseudo-maoïsme centré sur la superstructure plutôt que sur l’infrastructure qui peut maintenant se déguiser en pigeant dans une nouvelle garde-robe offerte gracieusement par le PCB (FR). Ce pseudo-maoïsme développe le même genre de pratique opportuniste qu’avant, mais l’enrobe maintenant dans un discours ultra-gauchiste faussement inspiré de la révolution péruvienne – une récupération honteuse de la lutte héroïque menée par le PCP et les masses péruviennes dans les deux dernières décennies du 20e siècle. La forme la plus aboutie et la plus représentative de ce nouveau « maoïsme » petit-bourgeois – qui n’a finalement rien de nouveau hormis son vernis « péruvien » – se trouve sans contredit aux États-Unis. Dans ce pays, on a assisté, dans les dernières années, à l’émergence d’un mouve­ment pseudo-maoïste complètement imprégné par le postmodernisme et marqué par la prédominance de formes d’action et d’organisation tout à fait opportunistes, en droite lignée avec celles mises de l’avant par les opportunistes canadiens contre lesquels nous avons lutté. En effet, comme nous allons maintenant le voir, les « maoïstes » américains organisés autour du journal Struggle Sessions sont en fait les descendants directs des opportunistes canadiens malgré qu’ils se présentent comme leurs détracteurs par excellence.

La caractéristique la plus importante du mouvement « maoïste » américain est l’abandon du prolétariat et de la classe ouvrière. Il s’agit d’une déviation tellement grave qu’elle suffit à elle seule pour dis­qualifier entièrement leur mouvement. Rappelons qu’il s’agissait également d’une caractéristique majeure des opportunistes canadiens, qui se manifestait non seulement dans leur pratique, mais également dans plusieurs de leurs conceptions, notamment celles sur les syndicats et sur « l’aristocratie ouvrière ». Dans le cas des Américains, l’abandon de la classe ouvrière, déjà manifeste lorsque l’on étudie leur littérature « théorique », saute aux yeux lorsque l’on examine à quel type d’activité se consacrent de manière hebdomadaire les militants du mouvement. Au mois d’août 2018, les « maoïstes » américains ont mis sur pied un journal en ligne, le journal Incendiary News, dont le mandat officiel consiste à fournir « les plus récentes nouvelles et analyses sur la lutte contre l’ex­ploi­tation et l’oppression » et à « couvrir les luttes populaires et les organisations révolutionnaires aux États-Unis et internationalement ». L’étude du contenu de ce journal nous fournit des renseignements très utiles sur les préoccupations réelles des militants du mouvement et permet d’avoir une vue d’ensemble de leur pratique (car comme on le constate rapidement, la grande majorité des « nouvelles » rapportées dans le journal concernent des actions réalisées par les organisations mises sur pied et dirigées par les « maoïstes » américains eux-mêmes). Entre le 11 août 2018 (date de publication du premier article apparaissant sur le site internet du journal) et le 25 janvier 2020, un total de 528 textes ont été publiés (sans compter les traductions d’articles) par Incendiary News. Sur ce nombre, nous n’avons identifié que 9 articles d’actualité portant sur la classe ouvrière américaine et sur la réalité de la production aux États-Unis, soit seulement 1,7 % de tout le contenu publié ! La vaste majorité des articles portent plutôt sur la lutte contre la gentrification – l’activité de prédilection des « maoïstes » américains –, sur l’antifascisme, sur la défense des immigrants, sur la lutte contre le racisme ou encore sur l’actualité internationale. Lorsque l’on regarde ces données, on se demande bien en quoi le journal Incendiary News est maoïste. Comment les Américains justifient-ils un tel désintérêt pour ce qui est pourtant censé être au cœur de l’activité et de la propagande communistes – à plus forte raison dans un pays où le développement du capitalisme est achevé ? Comment expliquent-ils que la presque totalité de leur activité soit dirigée ailleurs que vers le mouvement ouvrier et la classe ouvrière américaine, alors que ce sont les producteurs qui sont censés être au centre de la lutte pour le socialisme ?

L’abandon du prolétariat par les Américains se constate également à la lecture de leurs écrits « théoriques » et de leurs documents fondateurs. Lorsque l’on parcourt les textes contenus dans le recueil intitulé Documents of the U.S. Maoist Conference for Line Struggle, ou encore l’ensemble des textes polémiques publiés par le journal Struggle Sessions (le journal assurant la direction idéologique du mouvement américain), on ne trouve nulle part de véritable analyse de classes de la société américaine. Les seules « analyses » qui s’y trouvent portent sur la question nationale. Pire encore, elles déforment les outils du marxisme pour y répondre et elles ne constituent rien d’autre qu’une régurgitation des thèses postmodernes identitaires à la mode au sein de la petite-bourgeoisie. On retrouve aussi des pseudos analyses complètement délirantes sur le rôle soi-disant central de la « gentrification » dans le capitalisme américain, un phénomène qui serait lié selon les Américains à la « déprolétarisation », à la « désindustrialisation » ou encore au pas­sage d’une économie de production à une « économie de service ». L’usage de ces concepts par les Américains constitue une concession impardonnable à la sociologie bourgeoise. Il montre à quel point ils sont imprégnés des thèses anti-marxistes et postmodernes qui foisonnent dans les milieux intellectuels sur la soi-disant disparition de la classe ouvrière. Les Américains affirment par exemple que toutes les grandes et les moyennes villes américaines ont été « désindustrialisées », qu’on n’y trouve plus d’usines et que « les seuls emplois industriels qui restent se trouvent presque tous dans la construction » ! Ils affirment aussi que le « prolétariat industriel urbain devient une classe superflue ». Ces affirmations constituent des faussetés évidentes qui ne font que révéler le désintérêt des « maoïstes » américains pour les producteurs et leur incapacité à faire une vraie analyse de classes.

L’analyse de classes est pourtant un outil indispensable pour les communistes afin d’apporter des réponses aux questions program­matiques et aux questions stratégiques de la révolution. C’est un outil qui est au cœur du maoïsme et de la perspective de la guerre populaire. En effet, développer une fine compréhension de la structure de classes du pays dans lequel on se trouve est une nécessité fondamentale pour être en mesure de mener une guerre populaire prolongée et de conquérir le pouvoir. Comme son nom l’indique, la guerre populaire est une guerre menée par les masses les plus larges et non par un petit groupe de conspirateurs. Si l’on n’a pas développé une connaissance profonde des classes sociales et des fractions de classes dont se composent les masses populaires, ainsi qu’une connaissance des rapports entre ces classes et entre ces fractions de classe, il n’est pas possible de déclencher une guerre populaire et encore moins de la mener jusqu’à la victoire. Aussi, la guerre populaire doit être dirigée par la classe ouvrière. Il est donc impératif d’en avoir un portrait précis. Il faut savoir où elle se trouve, de qui elle est constituée et quel est son poids numérique. Il faut savoir ce qu’elle produit et comment elle le produit. Il faut connaître ses organisations, ses luttes et ses revendications. Sans ces connaissances, il est impossible d’établir une liaison entre l’avant-garde et la classe et donc, de mener avec succès l’af­fron­tement armé avec la bourgeoisie. L’analyse de classes permet aussi de bien connaître les classes et les fractions de classe ennemies, ce qui est primordial si l’on veut déclencher un affrontement militaire contre elles. En somme, l’analyse de classes est ce qui permet de connaître les secteurs de la population qui vont appuyer la guerre révolutionnaire et de déterminer comment se lier à ces grands groupes de la société. En se désintéressant de la réalité concrète des classes sociales aux États-Unis, les « maoïstes » américains révèlent que leur verbiage pseudo-radical n’est rien d’autre qu’une supercherie et qu’ils ne sont pas réellement en train de préparer la guerre populaire : en effet, ils ne se soucient même pas de savoir qui va la mener ! En abandonnant, comme ils le font, le prolétariat et la classe ouvrière, c’est ni plus ni moins la guerre populaire qu’ils abandonnent.

Les « maoïstes » américains ne développent pas une appréciation juste du mouvement ouvrier de leur pays, alors que c’est une nécessité pour mener un réel travail de préparation de la guerre populaire. À cet égard, ils sont également dans la même lignée que les opportunistes canadiens : ils reprennent leurs positions gauchistes sur les syndicats, positions qui servent à justifier l’abandon de la classe ouvrière et à masquer une pratique droitière et économiste. Voici, par exemple, ce qu’on peut lire dans l’un des rares articles portant sur la classe ouvrière et le mouvement ouvrier américains publié par Incendiary News :

« All unions in imperialist states are the diplomatic branch of the bourgeoisie, following the boss’ law and negotiating percentages of workers’ pay away from them.

Turning off the faucet of surplus value that flows into the mouths of Wabtec executives displays the potential of the working class, but striking is only one tactic which by itself can be easily swept away by further capitalist restructuring and by the inevitable treason of labor aristocrat union bosses. » (ERIE: Largest Industrial Strike in Years at Former GE Factory)

Dans un article rapportant la création du Revolutionary Workers Movement à Kansas City, la ligne des « maoïstes » américains sur le mouvement ouvrier se trouve également exposée clairement :

« The RWM has many union workers in their ranks, but they oppose the union bosses, whose job is to broker peace between the exploiters and the exploited.

Unions and NGOs want to maintain peace and calm, we want to embolden workers to fight back. » (KANSAS CITY: Workers Launch New Revolutionary Organization)

Il s’agit exactement de la même ligne que celle défendue par les opportunistes canadiens, position qui se trouve parfaitement
formulée dans le « programme préliminaire » du Revolutionary Workers Party, le nouveau « parti » mis sur pied par le renégat Martin McAlpine – l’ancien chef des « maoïstes » révisionnistes au Canada :

« While a minority of workers are already organized into unions, the current union movement is not a tool to fight the capitalist class. The union movement has been co-opted by cowards, content to sell out the working class for minor gains. At this point the unions have become so degenerated that they are effectively a tool of the capitalist state, acting as ways to channel and regulate the anger of the working class. It doesn’t have to be this way.

One of the central tasks of our party is to organize workers into fighting unions. We will do this both by organizing new unions, and retaking the existing unions from the class traitors in leadership. »

Cette ligne complètement erronée selon laquelle les syndicats existants sont désormais un outil entièrement aux mains de « l’aristocratie ouvrière » et de la bourgeoisie conduit, d’une part, à s’isoler complètement des masses ouvrières et, d’autre part, à sombrer dans une forme toute particulière d’économisme – un économisme artificiel déconnecté des luttes économiques réelles ! En effet, cette position, qui est également celle des courants « de gauche » au sein du mouvement syndical, des trotskistes et des syndicalistes « révolutionnaires » à la IWW, revient à prôner l’idée selon laquelle la tâche actuelle est de revitaliser, voire de reconstruire le mouvement ouvrier plutôt que de bâtir le mouvement révolutionnaire et de développer la lutte pour le socialisme. En d’autres mots, elle conduit à penser que la tâche est de radicaliser progressivement la lutte économique plutôt que d’entraîner les ouvriers dans la lutte politique. Les tenants de cette position en viennent soit à proposer de développer un nouveau mouvement ouvrier parallèle à celui existant déjà (en mettant par exemple sur pied des syndicats « révolutionnaires » condamnés à la marginalité la plus totale), soit à lutter pour remplacer la direction actuelle des syndicats (en formant des caucus « de gauche » dans les syndicats, en travaillant à la scission dans le mouvement syndical, etc.). Dans les deux cas, il s’agit d’un grand détour inutile et le résultat est le même : on se coupe complètement des luttes réelles des ouvriers et on dissout la lutte révolutionnaire dans une lutte économique artificielle. Pour l’instant, la perspective mise de l’avant par les « maoïstes » américains semble correspondre à la première option. Par exemple, la nouvelle organisation mise sur pied en 2019 à Kansas City, le Revolutionary Workers Movement, est un calque des petites organisations « alternatives » dont la raison d’être est de tenter – vainement – de concurrencer les syndicats en place dans la défense économique des travailleurs. Lors de sa créa­tion, le Revolutionary Workers Movement s’est fixé trois objectifs principaux (énumérés dans sa plateforme ridicule en cinq points), soit la « résistance militante contre l’intensification du travail », la « résistance militante contre les vols de salaire » et « l’opposition à tous les licenciements », des objectifs tout à fait similaires à ceux mis de l’avant dans les campagnes réformistes du IWW. Ce genre d’activité ne contribue en rien à faire pénétrer le programme révolutionnaire dans le mouvement ouvrier et n’a pour effet que de dissimuler l’option de la lutte politique derrière des luttes revendicatives inventées de toute pièce. Contrairement aux perspectives prônées par les partisans de cette ligne erronée, les maoïstes doivent viser à construire leur mouvement à la fois à l’intérieur et à l’extérieur du mouvement ouvrier réel malgré toutes ses « impuretés ». Cela signifie, au stade actuel dans des pays comme le Canada et les États-Unis, qu’il faut se saisir des luttes économiques réelles, notamment celles menées par les grands syndicats ouvriers en place, qu’il faut assurer une présence communiste de plus en plus grande dans ces luttes, mais sans chercher immédiatement à les transformer, et qu’il faut s’en servir d’abord pour amener de plus en plus d’ouvriers à participer à la lutte extérieure, c’est-à-dire à la lutte politique pour le pouvoir prolétarien. Pour y arriver, cela implique, aux premiers stades du processus de liaison avec le mouvement ouvrier, d’accepter de mener une activité qui n’a rien de spectaculaire, et de simplement être présent sur le terrain avec les ouvriers en lutte. Cela signifie également qu’il ne faut pas antagoniser inutilement les chefs et les délégués syndicaux, lesquels doivent être considérés par défaut comme des amis et non comme des ennemis du mouvement révolutionnaire. Cela signifie finalement qu’il faut abandonner les conceptions ahistoriques sur la soi-disant aristocratie ouvrière et qu’il faut viser à mobiliser tous les ouvriers sans exception, en se concentrant tout particulièrement sur les ouvriers de la grande industrie et sur ceux travaillant dans les unités de production les plus vastes. À court et à moyen terme, il s’agit de prôner la plus grande unité dans le mouvement ouvrier et de combattre toutes les tendances scissionnistes qui ne font que morceler inutilement la classe et générer des illusions sur le potentiel de revitalisation du mouvement ouvrier. L’objectif est de se positionner dès maintenant pour pouvoir faire basculer des pans importants du mouvement ouvrier dans le camp de la révolution lors de la guerre populaire. Après le déclenchement de la guerre populaire – et seulement à ce moment –, les révolutionnaires seront favorables à la scission du mouvement ouvrier – scission entre ceux qui appuient la prise du pouvoir par le prolétariat et ceux qui appuient le maintien du pouvoir bourgeois.

L’abandon du prolétariat et de la classe ouvrière par les « maoïstes » américains est symptomatique de leur attachement profond au militantisme petit-bourgeois et postmoderne qui domine présentement la « gauche » des pays impérialistes. Le postmodernisme est une forme d’idéalisme philosophique propre à notre époque, celle de la période de crise prolongée du capitalisme en cours depuis les années 1970. Il s’agit d’un produit des classes intermédiaires dont une large fraction, dans les pays impérialistes, s’est rangée entièrement derrière la démocratie bourgeoise et sert maintenant de tampon entre la bourgeoisie et le prolétariat, de pilier dans la structure de classes permettant au capitalisme de se maintenir. C’est un courant philosophique qui s’est développé en réaction directe au marxisme et dont la finalité est de le faire disparaître. Ce courant conteste l’existence objective du prolétariat et cherche à l’effacer comme sujet révolutionnaire, visant à le remplacer par une infinité d’identités purement subjectives aux trajectoires divergentes. Il nie les grandes contradictions de la société, en particulier les contradictions de classes : au lieu de voir les processus contradictoires à l’œuvre, il ne voit qu’un enchaînement sériel, une succession infinie d’éléments qui ont tous le même poids et la même valeur. Il nie l’essence matérielle des rapports sociaux et des faits historiques (les modes de production, la lutte des classes). Finalement, il s’attaque aux moyens de la lutte de classe menée par le prolétariat et il nie la possibilité d’une transformation révolutionnaire de la société. Le postmodernisme n’est donc pas seulement un courant intellectuel ou académique. C’est un mouvement militant qui a un but, celui d’éliminer les avancées scientifiques, historiques et matérialistes du 19e et du 20e siècles qui ont été défendues et portées par le mouvement communiste pendant plus de 150 ans. C’est un contre-mouvement allant à rebours du progrès de la connaissance et des sciences. Pour désarmer le prolétariat et les masses populaires dans le monde, la bourgeoisie doit contester le matérialisme et faire régresser les sciences. Le postmodernisme participe ainsi à une offensive visant à détruire les sciences en général et la science historique du marxisme en particulier pour les remplacer par une pseudo-science idéologique. Aujourd’hui, la lutte que les révolutionnaires doivent mener contre le postmodernisme est analogue au combat qu’ont dû mener Marx et Engels dans la période de genèse du marxisme contre la vieille philosophie idéaliste.

Le postmodernisme rejette l’objectivité de la connaissance et prône un relativisme et un subjectivisme complets. Il s’oppose à la maîtrise des choses et des processus, maîtrise qu’il considère comme un défaut « totalitaire ». Il rejette l’antériorité de la matière sur la conscience et se passe entièrement de la réalité. Il prône le « contournement », la « déstabilisation » et la « performativité » plutôt que la révolution. Il conduit à vouloir devenir minoritaire et à rejeter toutes normes sociales. Il s’oppose à la notion de totalité et prône la fragmentation de la réalité. Il rejette la lutte positive pour le socialisme et il conduit à adopter une position « anti » (« anticapitaliste », anti-normative, anti-communiste, etc.). Dans les pays impérialistes, depuis les années 1970, l’extension dans la pratique du postmodernisme, le gauchisme littéraire, a remplacé la lutte des classes par une multitude de luttes identitaires segmentées, par une lutte « anti-oppressive » petite-bourgeoise se situant essentiellement dans la sphère des idées, de la culture et des mœurs. Il a propagé l’idée que la classe ouvrière avait disparu et que la lutte pour le socialisme était désormais terminée. Surtout, le gauchisme littéraire a transformé l’extrême-gauche en remplaçant les formes de lutte révolutionnaires et prolétariennes par de nouvelles formes de lutte, souvent entièrement culturelles ou idéologiques, et surtout complètement inoffensives pour la classe dominante. Ce sont précisément ces formes de lutte postmodernes qui dominent la pratique des « maoïstes » américains. En examinant l’ensemble de leur activité concrète, sans se laisser distraire par le discours gauchiste qu’ils développent parallèlement à celle-ci, on constate que malgré leur critique superficielle du postmodernisme, ils n’ont jamais rompu avec lui. Les formes d’action postmodernes qu’adoptent les « maoïstes » américains se rangent pour la plupart dans les catégories de la lutte anti-sexiste, de la lutte contre la « gentrification », de l’antifascisme, de l’anti-racisme et des « contre-événements » en tout genre. C’est à ce type d’activité que se consacrent presque exclusivement les « maoïstes » américains au lieu de chercher à développer une lutte ouverte contre la bourgeoisie impérialiste américaine et la démocratie bourgeoise.

Les dénonciations publiques et militantes d’agresseurs sexuels – l’une des formes de lutte préférées des « maoïstes » américains – font partie des formes d’action par excellence de la lutte « anti-oppressive » postmoderne contre le « privilège masculin » et « l’hétéro-patriarcat ». Les Américains consacrent une partie considérable de leur temps et de leur énergie à ce type d’activité. Dans les deux dernières années, ils ont organisé plusieurs campagnes de dénonciation, lesquelles ont pris la forme de campagnes d’affichage montrant le visage de l’accusé, de textes et de photos publiés sur internet, de performances théâtrales et artistiques, de critiques d’autres organisations politiques de gauche et de perturbations de leurs événements, de petites manifestations, de « sit-in », de tracts, de graffitis sur des campus universitaires et devant les domiciles des accusés, d’irruption dans des salles de classe avec des bannières et de séances de piquetage devant des petits commerces – toutes des formes chères à la « gauche » postmoderne contemporaine. Les dénonciations ont ciblé le plus souvent d’autres militants de la gauche petite-bourgeoise, des professeurs universitaires ou encore des policiers (l’anti-sexisme se mêlant dans certains cas avec une forme d’anti-autoritarisme petit-bourgeois à la mode). Récemment, les « maoïstes » américains se sont également mis à explorer une forme particulièrement originale de campagnes de dénonciations en commençant à cibler des …pédophiles ! Des militants de leur mouvement sont par exemple allés manifester dernièrement devant le domicile d’un professeur d’université accusé de faire l’apologie de la pédophilie. Peut-être qu’en jouant ainsi aux justiciers, ils espèrent pouvoir concurrencer l’extrême-droite ? Quoi qu’il en soit, les véritables maoïstes doivent condamner sans réserve ces actions complètement étrangères aux formes de lutte historiquement développées par le mouvement communiste. En se consacrant à cibler des professeurs d’université et d’autres militants petits-bourgeois pour leurs agissements sexistes, en centrant ainsi leur activité sur des événements anecdotiques qui n’intéressent personne dans les masses prolétariennes, les « maoïstes » américains, en plus de révéler leur conception complètement postmoderne de la lutte révolutionnaire, montrent dans quels milieux ils sont confinés et exposent au grand jour leur sectarisme. Les campagnes de dénonciation des « maoïstes » américains n’ont absolument rien à voir avec un travail d’organisation communiste. Elles ne contribuent aucunement à mobiliser les masses pour la révolution et elles ne servent pas non plus à acquérir les capacités nécessaires au déclenchement de la guerre populaire. Il s’agit d’un travail complètement petit-bourgeois et inutile. À cet égard, leur récupération du nom « Movimiento Femenino Popular », un nomtiré de l’expérience de la guerre populaire au Pérou, est particulièrement risible.

En raison de leur conception postmoderne et ahistorique du patriarcat et de l’oppression des femmes, les « maoïstes » américains agissent comme si la lutte pour l’émancipation des femmes était une tâche historique encore à réaliser, ou à tout le moins comme si la lutte contre le sexisme était un levier important de la lutte révolutionnaire dans les pays impérialistes, ce qui les fait dévier complètement des tâches réelles à accomplir. Leur conception postmoderne du patriarcat les amène également à se concentrer dans des secteurs petits-bourgeois et à justifier ce choix en prétendant qu’ils sont en train de libérer les femmes de l’oppression, ce que la société bourgeoise s’est déjà chargée de faire. Bien qu’ils affirment maintenant s’opposer au terme « féminisme prolétarien », ils n’ont jamais rompu avec les conceptions erronées qui ont été historiquement associées à cette expression et ils continuent, dans les faits, de développer une pratique postmoderne féministe – ce qui est bien pire que d’utiliser une expression théoriquement inexacte. Les communistes s’opposent évidemment aux pratiques rétrogrades et à la violence faite aux femmes, mais cela ne signifie nullement que la lutte contre le sexisme doit occuper une place centrale dans leur activité. Dans les pays impérialistes, où la tâche historique d’éradiquer le patriarcat a été réalisée depuis longtemps, les campagnes et les actions contre « l’oppression spécifique des femmes » sont aujourd’hui complètement modelées par le postmodernisme. Elles sont également en phase avec la conception découlant de l’interprétation erronée de la révolution culturelle selon laquelle la superstructure doit être au centre de la lutte. D’ailleurs, c’est en faisant référence à la révolution culturelle, comme s’ils étaient en train de reproduire les formes de lutte adoptées par les étudiants révolutionnaires dans les années 1960 en Chine, que les « maoïstes » américains justifient leur activité de dénonciations. On peut par exemple lire ce qui suit dans un article du journal Incendiary News :

« Maoist students have a long history of exerting mass pressure from below against those in positions of power, like Morrisett, dating all the way back to the Great Proletarian Cultural Revolution, where professors were a major target. The Maoist-led student front at UT kept these traditions alive by initiating a mass campaign that helped to drive at least one abuser to death by his own hand. » (AUSTIN: Professor’s Death Ruled Suicide After Being Targeted by Revolutionary Students)

Par ailleurs, leur conception du patriarcat amène les « maoïstes » américains à accepter sans questionnements l’essentiel des théories postmodernes et idéalistes sur le « genre », théories selon les­quelles il existerait une sorte d’essence masculine ou féminine séparée du sexe biologique et selon lesquelles c’est la manière dont une personne est perçue (par les autres ou par elle-même) qui détermine si elle est un homme, une femme, ou si elle fait partie d’une autre catégorie inventée. Les Américains semblent considérer qu’il existerait une « question trans » à résoudre et qui ferait partie des questions programmatiques de la révolution. Par exemple, dans le texte On proletarian feminism rédigé en 2018 par le défunt collectif Red Guards Austin, les Américains affirment qu’une des tâches de leur mouvement en rapport avec la lutte contre le « patriarcat » est la mise en place d’organisations LGBT. Pire encore, dans leur texte Navigating the Canadian Split, ils affirment être sur le point de fournir un « travail théorique » sur le « processus matériel à l’origine de la création des personnes trans ». Évidemment, un tel processus n’existe tout simplement pas, puisque ce que les « personnes trans » affirment être (des individus ayant un « genre » différent de leur sexe) n’existe que dans leur conscience et non dans le monde matériel. En fait, la seule position matérialiste sur cette question, c’est que l’apparence d’une chose n’est pas son essence, et que par conséquent, ce n’est pas en performant un « genre » (en trafiquant de manière répétée son apparence), que l’on cesse d’être ce que l’on est objectivement (un être ayant un sexe biologique inné et irréversible). La manière dont les Américains s’enlisent dans des élucubrations idéalistes sur cette question révèle à quel point ils sont dominés par des préoccupations petites-bourgeoises, comme n’importe quels autres militants d’extrême-gauche dans les pays impérialistes.

L’obsession des « maoïstes » américains pour la « gentrification » est également un produit flagrant du postmodernisme. La lutte contre la gentrification est en effet l’un des types d’activité les plus répandus au sein de la gauche petite-bourgeoise et postmoderne. Bien qu’elle ait l’apparence d’une lutte économique pour défendre « les pauvres » contre les hausses de loyer et les évictions, elle représente essentiellement, pour les militants postmodernes, une lutte pour préserver l’identité liée à un espace urbain. Elle va également de pair avec l’idée de créer des petites « poches de résistance » au sein de la société capitaliste, un processus imaginaire vu comme émancipateur en lui-même par les militants postmodernes. Ces deux éléments sont au cœur de l’activité anti-gentrification déployée par les « maoïstes » américains. Dans leur cas, l’aspect identitaire de cette activité est fortement lié à la lutte anti-raciste et à la défense d’une identité culturelle « nationale » et « communautaire ». Dans le texte Maoist Analysis of Gentrification in Boyle Heights and Los Angeles rédigé en 2018 par la défunte organisation Red Guards Los Angeles (un texte qui résume bien la conception derrière la pratique des Américains), les auteurs parlent de « quartiers de nations opprimées », affirment que la gentrification « favo­rise la suprématie blanche » et insistent sur la notion « d’auto­déterm­ina­tion » des communautés. Dans le même texte, l’idée complètement postmoderne de créer une sorte de contre-pouvoir intangible à travers la lutte contre la gentrifrication se trouve également parfaitement exposée :

« Maoists in Boyle Heights have defined and theorized the concept of community dual power as something to aspire to and build toward in the anti-gentrification movement. We define community dual power as the general exercise of self-determination geographically, politically, culturally, socially, and economically by a community facing gentrification. »

Le focus des militants postmodernes sur la « gentrification » témoigne de leur incompréhension complète du développement matériel de la société capitaliste, c’est-à-dire de l’accumulation du capital et des changements dans les forces productives. L’accumu­lation du capital transforme continuellement les moyens de production, modifie la façon de distribuer les marchandises, change le visage des villes et des quartiers et déplace les ouvriers d’un endroit à un autre en fonction de ses besoins. Or, le concept de la gentrification ne tient pas compte de ces phénomènes et empêche de voir les liens qui existent entre eux. Il empêche d’étudier des données concrètes comme l’augmentation démographique, la trans­formation des réseaux de transport ou le perfectionnement des procédés de production. Il empêche d’examiner la société d’une manière marxiste et de l’appréhender comme une totalité, conduisant ainsi à exagérer grandement l’importance de certains phénomènes mineurs. Il conduit finalement à fétichiser des quartiers et à vouloir empêcher à tout prix leur transformation inévitable. La lutte contre la gentrification n’a rien de révolutionnaire : elle est fondamentalement conservatrice. S’il est tout à fait légitime de dénoncer la vie chère et de la combattre, il n’y a absolument aucune raison de souhaiter que les villes et les quartiers demeurent éternellement tels qu’ils étaient autrefois. Les militants communistes ne cherchent pas à freiner le mouvement réel de la société. Ils visent plutôt à le maîtriser pour faire la révolution. Il n’y a pas de raison de rester attaché, pour des raisons purement idéologiques et identitaires, aux quartiers ouvriers d’hier qui se transforment aujourd’hui en quartiers petits-bourgeois. Il faut simplement aller là où se trouvent actuellement les ouvriers et les prolétaires ! Or, si les militants petits-bourgeois accordent autant d’importance à ces quartiers « gentrifiés », c’est souvent justement parce qu’ils sont des petits-bourgeois et qu’ils y habitent. Si ce que les « maoïstes » américains affirment est vrai, c’est-à-dire que les quartiers dans lesquels ils investissent leurs énergies ont été transformés en « terrains de jeu petit-bourgeois » et qu’ils ont acquis un « caractère non-prolétarien », alors pourquoi continuent-ils d’y militer ?

La lutte contre la « gentrification » fait partie des formes d’activité dans lesquelles les militants du mouvement américain investissent le plus d’efforts, ce que l’on constate facilement en parcourant le journal Incendiary News. Les actions liées à la gentrification rapportées dans le journal incluent des « perturbations » de réunions de promoteurs immobiliers et de conseillers municipaux ; des manifestations, des piquetages, des boycotts et des actes de vandalisme contre des cafés, des restaurants, des galeries d’art et des vélos en libre service ; des campagnes d’affichage ; des campagnes contre des propriétaires de blocs appartements ; des performances artistiques ; des manifestations devant des domiciles privés, etc. Aussi, la lutte contre la gentrification a occupé une place prépondérante lors des manifestations du 1er mai 2019 organisées par le mouvement américain à Los Angeles, à Charlotte, à Pittsburgh et à Kansas City. À cette occasion, l’action la plus « audacieuse » organisée par le mouvement américain s’est déroulée à Los Angeles où les militants ont aspergé de peinture et couvert de graffitis des galeries d’art pour protester contre la gentrification d’un quartier. Il s’agit d’un détournement honteux du sens de la Journée internationale des travailleurs censée être une journée d’action révolutionnaire où l’on met au premier plan la lutte pour l’émancipation de la classe ouvrière.

L’importance accordée par les « maoïstes » américains à l’anti­fascisme et aux luttes relatives au racisme en général est aussi un symptôme de leur postmodernisme. Les Américains justifient leur investissement de temps démesuré dans ce type d’activité en prétextant une soi-disant « montée du fascisme », une position dominante au sein de l’extrême-gauche des pays impérialistes, spécialement depuis l’élection de Trump aux États-Unis. Cette position était également celle des opportunistes canadiens, pour lesquels la lutte révolutionnaire devait se déployer en opposition à la montée du fascisme, et non pas comme un mouvement dirigé ouvertement contre la démocratie bourgeoise. Les « maoïstes » américains ont développé des idées similaires en affirmant par exemple que la montée du fascisme justifiait leur « militarisation ». L’antifascisme qui domine actuellement en Amérique du Nord est entièrement imprégné par le postmodernisme dont le relativisme conduit à accorder beaucoup trop d’importance au phénomène du racisme ainsi qu’aux groupes d’extrême-droite. Il conduit à ne plus être capable de faire la différence entre la démocratie bourgeoise et le fascisme réel – par exemple celui qui a existé historiquement dans les années 1930 en Allemagne et en Italie. L’antifascisme actuel conduit à focaliser son attention sur des groupes ou des individus ultra-réactionnaires, souvent marginaux, au lieu de s’attaquer frontalement à la classe capitaliste dans son ensemble et à la démocratie bourgeoise. Il conduit à liquider la pratique communiste révolutionnaire au profit d’une lutte sans fin contre des groupuscules d’extrême-droite, lutte prenant notamment la forme d’actions ciblées contre des individus (une pratique très appréciée des « maoïstes » américains), de perturbations d’évé­ne­ments et de contre-manifestations.

D’ailleurs, l’organisation à outrance de contre-manifestations et de « perturbations » contre n’importe qui et n’importe quoi est, en soi, une caractéristique importante de la pratique postmoderne. En effet, les militants postmodernes se placent généralement en réaction à quelque chose au lieu de développer leur propre initiative et de déployer des formes d’actions positives. Par exemple, ils choisissent souvent d’agir en réaction aux manifestations et aux activités des autres (accordant souvent une attention démesurée à des événements complètement insignifiants) plutôt que d’orga­niser leurs propres manifestations et leurs propres activités. Les contre-événements lors desquels des militants tentent de déranger un groupe adverse en scandant des slogans de manière stéréotypée et dans un style petit-bourgeois constituent une forme de lutte postmoderne très répandue aujourd’hui. Les « maoïstes » américains se spécialisent dans ce type d’actions. Dans cette catégorie, hormis les manifestations en tout genre (contre des agresseurs sexuels, contre la gentrification, contre des groupes d’extrême-droite, etc.) mentionnées plus haut, une forme d’activité retient particulièrement l’attention : il s’agit de l’organisation d’actions contre d’autres groupes de gauche. Les « maoïstes » américains justifient ce genre d’actions inutiles et ridicules en invoquant de manière complètement ahistorique et aprioriste des formules sur le « social-fascisme » ou sur le « danger principal » du révisionnisme. L’une des pires actions de ce genre a été le sabotage d’un petit rassemblement d’environ cinq personnes organisé par des révisionnistes pour dénoncer l’intervention impérialiste américaine au Venezuela. Lors de cette action complètement ultra-gauchiste, des militants « maoïstes » costumés en habits militaires sont allés intimider une poignée de manifestants inoffensifs, les ont bousculés et ont confisqué leur matériel. Ils ont ensuite réalisé une vidéo de propagande où on les voit brûler, dans une mise en scène caricaturale, des affiches dénonçant l’impérialisme américain au Venezuela, les faisant apparaître bien plus réactionnaires que les révisionnistes qu’ils combattent. Ce n’est qu’un exemple du genre d’actions honteuses auxquelles s’adonnent les « maoïstes » américains depuis trop longtemps déjà. Le pire dans tout cela, c’est que ceux-ci semblent considérer ces mises en scène théâtrales comme des actions témoignant de la « militarisation » de leur mouvement. Par exemple, dans un article du journal Incendiary News rapportant une action lors de laquelle un groupe de militants cagoulés ont fait irruption dans une réunion de l’organisation Democratic Socialists of America, le mot « combattants » a été employé pour décrire les militants en question – un usage complètement réducteur de ce mot censé décrire des militants engagés dans la lutte armée.

La manière dont les « maoïstes » américains construisent leur mouvement est en droite lignée avec la méthode de construction employée par les opportunistes canadiens. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les polémiques pitoyables qu’ils ont dirigées contre la clique opportuniste de droite au Canada se sont concentrées presque exclusivement sur l’intellectuel Joshua Moufawad-Paul au lieu de s’attaquer aux conceptions développées par Martin McAlpine, le véritable chef des opportunistes à l’époque. En effet, pour comprendre ces conceptions – notamment celles contenues dans son texte L’approche communiste du travail de masse – , il faut analyser la pratique des opportunistes, ce que les idéalistes américains, éblouis par les questions d’ordre purement idéologique, sont évidemment incapables de faire. Or, s’ils analysaient cette pratique, ils se rendraient compte qu’elle correspond dans ses grandes lignes à celle qu’ils développent eux-mêmes aux États-Unis ! La construction du mouvement à travers la mise en place d’un réseau d’organisations intermédiaires servant à concurrencer le mouvement réel des masses et dissimulant le parti était une caractéristique fondamentale de la pratique des opportunistes canadiens. Or, bien qu’ils aient changé l’expression « organisation intermédiaire » pour celle « d’organisation de masse », c’est à peu près le même modèle de construction que reprennent les Américains. D’une certaine manière, ils ont même radicalisé la conception des opportunistes canadiens, en faisant disparaître entièrement l’instance politique. En effet, depuis la liquidation formelle des collectifs « Red Guards », il n’y a plus, aux États-Unis, d’organisation politique communiste centrale ayant une existence ouverte – c’est-à-dire revendiquant publiquement des actions révolutionnaires, produisant de la propagande et ayant un programme communiste auquel on peut adhérer. Les opportunistes canadiens justifiaient la dissimulation de l’avant-garde maoïste en prétextant l’impossibilité d’interpeler les masses à l’heure actuelle avec un programme révolutionnaire. Les Américains, quant à eux, invoquent un prétexte différent, soit celui de préserver le travail secret et la « clandestinité » de l’organisation. Dans les deux cas, le résultat est le même : on dissout l’activité politique révolutionnaire dans une activité de niveau « intermédiaire » ! Les Américains, comme le faisaient les opportunistes canadiens, construisent leur mouvement en mettant sur pied une panoplie « d’organisations de masse » qui en réalité n’organisent pas les masses, mais qui regroupent plutôt les militants « maoïstes » eux-mêmes et leur périphérie immédiate. Plusieurs de ces organisations sont d’ailleurs exactement conçues selon le modèle des organisations intermédiaires, avec une plateforme contenant une série de « points d’unités » centrés sur un enjeu spécifique et n’exprimant qu’un vague appui à la révolution. Aussi, comme c’était le cas des organisations prônées par Martin McAlpine et par les opportunistes canadiens, celles mises sur pied par les Américains visent à remplacer les organisations existantes des masses et à copier le mouvement spontané à l’extérieur de celui-ci. Autrement dit, leur activité consiste à inventer des luttes immédiates (notamment contre la gentrification) plutôt qu’à se saisir des luttes réelles de la classe ouvrière et du prolétariat. Elle vise à générer artificiellement des luttes exemplaires parallèlement au mouvement réel plutôt qu’à se déployer le plus largement possible à l’intérieur du mouvement réel, conduisant à privilégier la fixité au détriment de la mobilité. C’est ainsi que des militants du mouvement « maoïste » américain se sont, par exemple, investis pendant plus d’un an dans une campagne anti-gentrification contre un seul projet de développement immobilier (la campagne No Domain on Riverside), une perte de temps monumentale et une concentration de forces complètement irrationnelle. Se consacrer entièrement à une activité qui n’est pas ouvertement communiste, dissimuler la lutte contre la bourgeoisie derrière une action multiforme et éclectique (anti-gentrification, antifasciste, anti-sexiste, etc.), c’est abandonner la tâche de propagation du programme révolutionnaire et c’est liquider la lutte pour le socialisme. La révolution ne sera pas portée par un vent de luttes défensives inventées. Bref, il faut rejeter fermement l’éclectisme et l’action multiforme immature des pseudo-maoïstes petits-bourgeois.

Dans son ensemble, la pratique développée par les « maoïstes » américains est entièrement opportuniste et dévie complètement du travail de préparation de la guerre populaire qui doit être mis en œuvre dans les pays où celle-ci n’a pas encore été déclenchée. Elle ne contribue en rien à mobiliser les masses prolétariennes pour la révolution et à développer les capacités nécessaires au déclenchement de la lutte armée. Comme nous l’avons dit plus haut, les « maoïstes » américains masquent leur opportunisme et leur pratique droitière en se servant des notions gauchistes mises de l’avant par le PCB (FR). En vérité, derrière leur usage d’ex­pressions telles que « militarisation », « construction concentrique » ou « mer armée des masses » se cache une immense confusion sur ce qu’est la guerre populaire. Dans le texte Toward the sea of Armed Masses, on retrouve par exemple une série de déclarations farfelues et d’affirmations contradictoires sur la manière d’avancer vers le déclenchement de celle-ci. On apprend par exemple que le défunt collectif Red Guards Austin avait commencé à se militariser et qu’il avait réussi à mettre en place la première unité de partisans maoïste aux États-Unis :

« In Austin we have begun the process of militarizing our collective and we have already shared some of this experience with you all. From this step toward a militarized collective we have established the first armed unit connected to the Marxist-Leninist-Maoist movement in the U.S. and at its disposal: the partisan unit, the purpose of which is the defense of the United Front, which is composed of friendly organizations and mass organizations. »

Ainsi, pour les « maoïstes » américains, exhiber des armes à feu dans des manifestations, dans un État où le port d’armes est légal, et ce, en dehors de tout contexte de lutte armée ou de préparation à des opérations de guérilla imminentes, reviendrait, selon eux, à avoir créé une unité de partisans ! Aussi, on est en droit de se demander à quoi peut bien faire référence l’idée d’une « militarisation » de leur collectif, quand on voit à quel type d’activité les militants américains s’adonnent aujourd’hui. Il semble que pour eux, revêtir des costumes militaires et intimider des militants réformistes inoffensifs est une manière de se « militariser » !

Dans le texte The dialectic of People’s War publié par le journal Struggle Sessions, la « militarisation » semble désigner le simple usage de la violence révolutionnaire. Voici, par exemple, ce qu’on peut lire dans le texte :

« However, in the absence of the armed struggle, the pre-Party or Party if it does not initiate armed struggle at the founding congress (which is an unsettled question within the International Communist Movement), Maoists must not take on the rightist position that the masses must not be mobilized through revolutionary violence, i.e. that the militarization of the masses be “put off” until a later time and place because otherwise it would be “ultra-‘left’” and would alienate the people from Communist and Communist organizing. »

Parler de « militarisation » pour décrire l’usage de la violence en général est déjà un rabaissement complet de ce qu’est l’activité militaire – et donc de ce qu’est la guerre populaire. Mais il y a pire : si on considère l’activité pratique à laquelle s’adonnent régulièrement les « maoïstes » américains, on est en droit de penser que la « violence révolutionnaire » à laquelle ils font référence se réduit à vandaliser des devantures de galeries d’art, à scander des slogans en feignant d’être menaçants ou encore à lancer des jouets en plastique à des promoteurs immobiliers ! Dans le texte The dialectic of People’s War, les Américains parlent d’ailleurs de « travail de masse militarisé » afin de laisser entendre que les actions de ce type, menées dans le cadre de leurs petites luttes économistes insignifiantes, leur permettent de « militariser » les masses et d’avancer vers la guerre populaire. Les Américains semblent penser qu’en ajoutant le mot « militarisé » à l’expression « travail de masse » (la même expression qu’employait Martin McAlpine pour justifier la pratique réformiste qu’il prônait), ils changent la nature de l’activité à laquelle ils s’adonnent (qui est sensiblement la même que celle à laquelle s’adonnaient les opportunistes canadiens). Notons également au passage l’affirmation incroyablement confuse contenue dans la citation précédente, affirmation selon laquelle le « mouvement communiste international » devrait déterminer si la lutte armée doit être déclenchée au moment du congrès de fondation du parti ! Cette affirmation caricaturale, en plus de révéler l’atta­chement profond des « maoïstes » américains aux principes creux et inutiles ainsi que leur désintérêt total pour la pratique concrète, montre à quel point ils ne comprennent rien au travail de préparation devant mener au déclenchement de la guerre populaire.

En vérité, l’emploi du mot « militarisation » par les Américains ne sert aucunement à décrire un processus réel : il s’agit d’un exercice se situant purement dans la sphère de l’énonciation, comme si les mots pouvaient transformer par eux-mêmes la réalité. Le mot « militarisation » en vient ainsi à être utilisé pour décrire n’im­porte quoi et pour qualifier une activité qui ne comporte abso­lument aucun aspect militaire. Par exemple, si l’on se fie à ce qui a été affirmé dans un texte délirant intitulé From rebellion to war: escalate the anti-gentrification strategic defensive to equilibrium ! publié à l’hiver 2018 par le collectif Red Guards Los Angeles(texte au titre révélateur dans lequel de simples manifestations contre la gentrification sont confondues avec des opérations militaires !), la « militarisation » désigne le fait de faire de l’exercice physique et d’adopter des bonnes habitudes de vie ! En effet, voici ce qu’on peut lire dans le texte :

« But overall, the march-bloc’s speed was no match for the speed of the police cruisers. Many militants were out of breath. Militants and allies shared concerns over their state of health and physical fitness. Some were overheard to have said that they would here on out smoke less, exercise more, etc., to essentially militarize. »

Par ailleurs, les tentatives des Américains d’aborder les questions relatives au déroulement stratégique de la guerre populaire sont également totalement confuses et erronées. Par exemple, toujours dans le texte The dialectic of People’s War, les Américains affirment que la guerre de mouvement sera la forme de guerre principale durant l’étape de la défensive stratégique :

« Mobile warfare is fluid, with armed field formations advancing and retreating. In the defensive stage, there is less time spent on the battlefield. This form of warfare is the dominant aspect during the strategic defensive but in general also for the entire People’s War. Guerrilla and positional warfare is also used but to a significantly lesser degree. »

Dans ce passage, les Américains ne font que répéter, de manière complètement mécanique et dogmatique, ce que Mao a écrit sur la guerre de résistance contre l’invasion japonaise en Chine, comme si les conditions allaient être les mêmes aux États-Unis ! Cela montre une fois de plus qu’ils ne sont capables que de répéter des formules toutes faites et qu’ils n’ont aucune capacité à assimiler la théorie révolutionnaire pour l’appliquer à des situations concrètes. Pourtant, il est évident que l’étape de la défensive stratégique, dans des pays impérialistes comme les États-Unis, ne sera pas principalement marquée par la guerre de mouvement, mais bien par la guerre de guérilla – comme le démontre d’ailleurs l’expérience historique de la résistance au fascisme en France.

Les « maoïstes » américains mettent également de l’avant une conception extrêmement restreinte de ce qu’est la guerre populaire en affirmant qu’elle se compose exclusivement de quatre formes de lutte (la propagande armée, les actes de sabotage, les anéantissements sélectifs et la guerre de guérilla). Dans ce cas-ci, ils figent de manière dogmatique une formule imprécise (et dont l’importance était complètement secondaire) employée par le PCP dans les années 1980 et réduisent la guerre populaire à cette formule, déformant ainsi l’expérience historique du prolétariat – y compris l’expérience de la guerre populaire au Pérou ! En effet, l’expérience démontre que la guerre populaire est une forme d’action révolutionnaire comportant un éventail d’action immensément plus vaste que ce qu’affirment les Américains. C’est même la forme d’action révolutionnaire la plus totalisante, celle qui englobe l’ensemble des formes de lutte développées par le prolétariat pour prendre le pouvoir (de la diffusion du journal clandestin à l’insurrection armée, en passant par la grève illégale et l’émeute). En plus d’englober toutes les formes de lutte déjà existantes nécessaires à la prise du pouvoir, la guerre populaire fait naître de nouvelles formes de lutte, notamment de nouvelles formes de guerre révolutionnaires et prolétariennes. Bref, affirmer que la guerre populaire se réduit aux quatre formes de lutte mentionnées plus haut, c’est se priver d’un répertoire d’actions extrêmement riche et c’est condamner la guerre populaire à la défaite.

Finalement, comme nous l’avons dit plus haut, les « maoïstes » américains sont complètement confus par rapport à la question primordiale (surtout à l’heure actuelle) du déclenchement de la guerre populaire. Dans le texte Toward the sea of Armed Masses, les auteurs enchaînent des affirmations contradictoires, affirmant d’un même souffle que la « militarisation » est une nécessité universelle et « qu’elle a été prouvée nécessaire dans des États comme le Texas où la droite est préparée à éliminer n’importe quelle manifestation de communisme révolutionnaire ». Aussi, après avoir affirmé que le passage à la défensive stratégique se produit une fois que les forces suffisantes ont été accumulées, les auteurs affirment ce qui suit :

« As reactionaries attack the mass movement in increasing numbers, resistance also sees a marked increase. This resistance leads to the formation of the People’s Guerrilla Army (PGA), which is politically necessary to confront the enemy. »

Cette citation rappelle étrangement la conception défendue par Martin McAlpine dans son texte L’approche communiste du travail de masse, conception selon laquelle le déclenchement de la guerre populaire, au lieu d’être une initiative politico-militaire du parti, consiste en une réaction défensive contre la répression de la bourgeoisie. Voici par exemple ce qu’on peut lire dans L’approche communiste du travail de masse :

« Au fur et à mesure que notre travail de masse obtiendra du succès et que notre parti et les organisations de masse se développeront, nous allons inévitablement subir une répression accrue de la part de l’État. […] La défense énergique des organisations de masse et de leurs activités contre la répression de l’État peut constituer une étape de l’ouverture de la défensive stratégique en milieu urbain. Dans la mesure où les organisations de masse constituent l’em­bryon de ce qui deviendra les institutions du socialisme, la capacité de les défendre est au cœur de la mise en place d’un double pouvoir. »

Il n’est peut-être pas surprenant que les « maoïstes » américains entretiennent des idées similaires. Rappelons que cette conception servait à justifier la méthode de construction prônée par les opportunistes canadiens – soit la mise en place d’un réseau d’organisations intermédiaires pour concurrencer le mouvement spontané des masses –, méthode dont les Américains reprennent l’essentiel. Quoi qu’il en soit, on constate que les « maoïstes » américains nagent dans la confusion la plus totale dès qu’il est question de problèmes concrets relatifs à la guerre populaire. En grattant un peu, on voit rapidement à quel point leurs envolées sur la « militarisation » ne sont rien d’autre que de la poudre aux yeux.

Il devrait être évident que faire la chasse aux professeurs d’université pédophiles, dénoncer publiquement des militants d’autres organisations pour leur sexisme, intimider des gens qui manifestent contre l’impérialisme américain et vandaliser des cafés branchés et des galeries d’art constituent des formes d’action qui ne font pas partie du répertoire maoïste et qui n’ont absolument rien à voir avec la révolution prolétarienne. Malheureusement, nous vivons à une époque générant tellement de confusion que ces formes d’action passent facilement pour les composantes d’une réelle activité révolutionnaire. Dans les pays impérialistes, le mouvement communiste est dans un tel état de décomposition et la force du postmodernisme est si grande que n’importe quelle forme de lutte petite-bourgeoise est vue comme légitime et est acceptée sans remise en question par des militants se réclamant du maoïsme. Aussi, presque personne ne semble remarquer ce qui constitue pourtant une véritable aberration historique, c’est-à-dire le désintérêt complet des « communistes » actuels pour la classe ouvrière et pour la réalité de l’exploitation et de la production. En définitive, c’est cet abandon du prolétariat et de la classe ouvrière qui résume le mieux les égarements et les déviations de la période actuelle. C’est lui qui est au cœur de la philosophie et de la pratique postmodernes qui dominent aujourd’hui et qui empêchent actuellement le développement d’un travail de préparation concrète de la guerre populaire. Le problème de l’époque actuelle est de taille. Mais il serait un peu moins difficile à résoudre s’il n’y avait pas en plus un discours gauchiste venant à la fois justifier le genre de pratiques décrites plus haut et en masquer le caractère postmoderne. Le PCB (FR), en développant sa ligne idéaliste sur le maoïsme et en soutenant comme il le fait des mouvements tels que celui des pseudo-maoïstes américains, porte une part importante de responsabilités dans la difficulté à relancer le mouvement communiste dans les pays impérialistes. En dépit de leur apparence, les positions gauchistes développées par la tendance idéaliste contribuent à empêcher le développement d’une réelle activité révolutionnaire. Malgré la prétention du PCB (FR) de lutter contre les organisations maoïstes qui ne travaillent pas réellement à initier la guerre populaire, la ligne qu’il développe participe en réalité à la liquidation du travail de préparation de la lutte armée dans les pays impérialistes. Elle contribue à maintenir le communisme à l’écart des masses, en marge de la société, loin des grands groupes du prolétariat et de la classe ouvrière. Elle tend à pousser à l’extrême la marginalité des maoïstes et à cristalliser leur extériorité au mouvement ouvrier et aux lieux de production. Les partisans de la ligne idéaliste sont éblouis par les concepts qu’ils mettent de l’avant et sont incapables de percevoir les difficultés de l’époque. Ils sont incapables de faire un examen critique de leur propre activité, préférant adopter une attitude triomphaliste et s’autoproclamer comme les révolutionnaires les plus purs. En vérité, la politique des pseudo-maoïstes actuels est bien pire, et de loin, que ne l’était celle des organisations révolutionnaires confuses de la période « Pensée Mao Zedong » dans les pays impérialistes, par exemple la Gauche Prolétarienne en France, les organisations du mouvement ML au Québec, ou encore le RCP-USA. Malgré toutes leurs limites, ces organisations reconnaissaient au moins l’importance de la centralité ouvrière et déployaient un réel effort pour se lier au prolétariat. Entre les organisations de cette période et les pseudo-communistes « principalement maoïstes » américains, il y a un océan… il y a même dix fois le tour de la Terre. Et c’est sans parler, bien sûr, des partis maoïstes de l’époque qui faisaient la révolution dans les pays dominés. Mais pourtant, les pseudo-maoïstes d’aujourd’hui ne cessent de proclamer qu’ils sont en avance idéologiquement sur toutes ces organisations parce qu’ils adhèrent au « vrai » maoïsme tel qu’il a été « synthétisé » dans les années 1980 !

L’enjeu de la période actuelle est de taille : existera-t-il encore à l’avenir, dans les pays impérialistes, de véritables organisations communistes liées au mouvement ouvrier, capables de mobiliser les prolétaires de l’industrie et combattant ouvertement pour la collectivisation des moyens de production ? L’option de la lutte pour le communisme va-t-elle disparaître à tout jamais ? Force est de constater que la faire disparaître est le but que poursuivent objectivement les anti-matérialistes militants. Si nous voulons que le marxisme redevienne une arme puissante entre les mains des masses populaires, il faudra donc en finir une fois pour toutes avec le gauchisme littéraire et le pseudo-maoïsme petit-bourgeois. Cela dit, c’est dans le monde matériel, et non dans le monde des idées, que les courants idéalistes et postmodernes seront balayés. C’est à travers la pratique réelle, et non à travers une lutte idéologique sans fin pour atteindre les concepts les plus purs, que le problème que ces courants idéalistes représentent sera résolu. Gardons en tête que dans les prochaines années, au sein des pays impérialistes, l’application de la centralité ouvrière ainsi que la liaison avec les grands groupes du prolétariat vont devenir les principaux éléments de démarcation entre les véritables partisans de la guerre populaire et les pseudo-révolutionnaires qui ont rejeté la lutte pour le communisme.

Défendons le maoïsme tel qu’en lui-même !

Finissons-en avec l’idéalisme et avec les positions de rupture !

Écrasons les héritiers des opportunistes canadiens !

Partons de la production et appliquons la centralité ouvrière pour réaliser la guerre populaire !