Il y a quatre ans, la Maison Norman Bethune a présenté une série de quatre conférences, dans le cadre des activités de l’École communiste de Montréal, sur l’histoire du mouvement communiste canadien. Les deux premières ont été retranscrites à l’été 2018 dans le numéro 10 de la revue Arsenal, alors publiée par le Parti communiste révolutionnaire (PCR). Elles portaient sur les origines du Parti communiste du Canada et son développement jusqu’à la fin des années 1940. La suite en a été publiée en avril dernier, dans le premier numéro des Cahiers du Réseau. Elle nous a mené jusqu’à l’émergence, puis à la disparition du mouvement marxiste-léniniste des années 1970. Voici enfin la dernière partie de cette série, qui correspond à la quatrième conférence présentée le 22 avril 2018 à la MNB.
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Partie prenante d’un phénomène international ayant suivi la disparition de la Chine socialiste et l’arrivée au pouvoir de ceux que Mao Zedong avait qualifié de « responsables du parti engagés dans la voie du capitalisme », les deux grandes organisations marxistes-léninistes qui avaient connu un essor fulgurant dans les années 1970, soit l’Organisation communiste marxiste-léniniste EN LUTTE ! et le Parti communiste ouvrier (PCO), ont disparu tout aussi rapidement et spectaculairement, en 1982 et 1983. Leur dissolution respective a laissé des centaines, voire des milliers de militantes et militants orphelins, dont plusieurs ont abandonné toute activité politique.
Ce fut le cas, tout particulièrement, des prolétaires qui avaient été relativement nombreux à militer dans les cellules de base de ces organisations, spécialement au PCO. Dans un contexte de reflux du mouvement ouvrier, certains ont néanmoins poursuivi leur action dans le mouvement syndical et sont demeurés des défenseurs honnêtes des travailleurs et travailleuses. Parmi les cadres et dirigeants d’EN LUTTE ! et du PCO, il y en a néanmoins plusieurs qui se sont repentis et ont répudié leur action militante ; certains ont d’ailleurs parfaitement réussi leur intégration dans la société et la sphère politique bourgeoises. On n’a qu’à penser aux Gilles Duceppe, Mario Beaulieu et autres partisans d’une « gauche efficace » à la Jean-François Lisée.
Ceux et celles qui ont tenté de poursuivre une activité organisée dans une perspective révolutionnaire furent relativement peu nombreux et n’ont jamais réussi à « surmonter le détour » – pour reprendre l’expression utilisée dans un tout autre contexte par les maoïstes péruviens. Du côté d’EN LUTTE !, des militantes et militants qui avaient été associés au « collectif des Trente », opposé à la dissolution, ont formé un collectif pancanadien, La Lutte continue !, qui aura duré moins de deux ans. Une partie d’entre elles et d’entre eux ont ensuite lancé la revue politique Révoltes, dont l’éclecticisme l’éloignera rapidement du communisme révolutionnaire, avant de disparaître en 1988.
Quant au PCO, les partisanes et partisans du maintien d’une organisation marxiste-léniniste ont formé un collectif appelé « Libération », qui publia une revue éponyme avant de se dissoudre à son tour en 1988 pour intégrer le jeune groupe Action socialiste, créé deux ans plus tôt.
Il y avait donc un vide politique certain dans ce qu’il est convenu d’appeler « l’extrême-gauche », réduite à l’activité de petits groupes trotskistes, dont le plus important au Québec avait pris le nom de « Gauche socialiste » et demeurait rattaché au Secrétariat unifié de la Quatrième Internationale. C’est dans ce contexte qu’est apparu le groupe Action socialiste (AS), à l’origine de notre courant.
1986-2000 : Essor, progrès et combats
À l’origine d’AS, on retrouve un petit collectif regroupant des militants des mouvements étudiant et de la jeunesse, le Centre étudiant de recherche et de formation (CÉREF). Ce groupe se caractérisait par son attitude militante, appuyée par un discours et une pratique qui défendaient ardemment l’indépendance de ces mouvements face à l’État et s’attaquaient en particulier au projet politique corporatiste du Parti québécois.
Dans une entrevue publiée à l’été 2002 dans la revue Socialisme Maintenant !, un membre fondateur du groupe Action socialiste racontait en ces termes la genèse de cette organisation : « Au bout d’un certain temps, les militantes et militants du CÉREF ont été amenés, presque naturellement, à élargir leur champ d’action et à se préoccuper d’autres questions que les strictes luttes étudiantes et celles de la jeunesse : luttes ouvrières, mouvement des femmes, solidarité internationale, etc. Se posa donc la question d’une lutte plus générale contre l’État, et éventuellement d’un mouvement qui amènerait une transformation globale, révolutionnaire, de la société dans laquelle nous vivons. » C’est ainsi qu’Action socialiste est né, en janvier 1986, autour d’un Document de fondation qui en constitua la base d’unité.
Le groupe se donna comme principal mandat de « travailler à la construction d’une organisation révolutionnaire – un parti révolutionnaire – qui sera à même d’organiser et de développer la lutte de masse des travailleurs et des travailleuses au Québec et au Canada ». Il s’agissait là d’une démarcation importante avec la mouvance trotskiste, qui récusait la conception léniniste du parti d’avant-garde et favorisait plutôt la construction d’un « parti de masse », et avec les conceptions hostiles à l’idée même de parti que l’on retrouvait dans les quelques cercles anarchistes de l’époque.
Le document de fondation identifiait le capitalisme comme la source de toutes les formes d’exploitation et d’oppression et se prononçait en faveur du socialisme, sans par ailleurs définir clairement ce dont il s’agissait. On y reconnaissait la division de la société en classes, que la lutte des classes est le moteur de l’histoire et que le prolétariat constitue la principale, sinon la seule classe révolutionnaire. Cela dit, il n’était pas question, dans ce document, du concept de dictature du prolétariat, et on n’y cherchera en vain quelque référence au marxisme-léninisme. Rien non plus sur l’expérience historique du socialisme en URSS ou en Chine, ou sur le mouvement communiste international : ni la guerre populaire péruvienne, déclenchée en mai 1980, ni l’existence du Mouvement révolutionnaire internationaliste (MRI) créé en 1984 n’étaient sur le radar de son noyau fondateur.
Tout de suite après sa création, cela dit, Action socialiste a connu un développement rapide et spectaculaire. Comme le rappelle le camarade cité plus haut, « en quelques semaines, le noyau initial venu du CÉREF a vite été multiplié par trois. Des premières cellules ont été mises sur pied, à l’extérieur de Montréal notamment. En avril est paru le premier numéro du journal Socialisme Maintenant ! Il y avait clairement un besoin, chez plusieurs militantes et militants, de coordonner leurs interventions, d’agir dans un cadre plus organisé. C’était, en tout cas, ce qui en a motivé plusieurs à joindre nos rangs. »
Action socialiste s’est fortement impliqué dans plusieurs luttes : dans le mouvement étudiant, la lutte pour le droit à l’avortement libre et gratuit, le mouvement syndical, la lutte contre une réforme de l’aide sociale qui visait à appauvrir et précariser les personnes exclues du marché du travail, etc. Cette activité, incluant la production et la diffusion d’un journal et l’organisation d’activités publiques, ont forcé le groupe à clarifier ses orientations et positions sur une variété d’enjeux, dont la question nationale québécoise. Action socialiste s’est ainsi prononcé contre le projet de création d’un État bourgeois séparé au Québec, ce qui a achevé sa démarcation des groupes trotskistes et de la gauche réformiste qui allaient éventuellement se prononcer en faveur du projet péquiste au référendum de 1995.
Continuant sur sa lancée, le groupe a rallié et intégré quelques ex-militants du mouvement marxiste-léniniste des années 1970, issus d’EN LUTTE ! ou du PCO. Comme mentionné plus haut, au début de l’année 1988, une démarche d’unité a été amorcée avec le groupe Libération, à la demande de ce dernier, qui s’est conclue par une intégration rapide dans les rangs d’AS, où les divergences ont été escamotées au profit d’un ralliement sans principes : « l’unité » n’a d’ailleurs duré que quelques années, les militants de Libération ayant choisi de quitter le groupe en 1994 alors même que ce dernier s’apprêtait à clarifier son orientation politique et à se positionner en faveur du marxisme-léninisme-maoïsme.
Entre-temps, dans le contexte des débats linguistiques et de l’échec de l’accord constitutionnel du Lac Meech – qui avait vu une remontée spectaculaire du mouvement nationaliste –, Action socialiste avait perdu la direction que le groupe exerçait dans quelques associations étudiantes et surtout, à la tête de l’ANEEQ (l’Association nationale des étudiants et étudiantes du Québec). Des militantes et militants en ont éprouvé un découragement certain et mis fin à leur activité. Au niveau organisationnel, le groupe connaissait alors ses premiers écueils. Deux événements, extérieurs à l’organisation, ont alors servi d’étincelle et accéléré le processus de clarification politique qui a mené Action socialiste vers le communisme révolutionnaire.
En 1990, le soulèvement de la nation Mohawk contre l’agrandissement d’un terrain de golf sur un cimetière traditionnel à Kanesatake a été l’occasion d’une campagne politique de masse de la part du groupe, en solidarité avec la résistance de cette Première Nation. À partir de là, Action socialiste est devenu imperméable à toute forme de nationalisme à la sauce péquiste et a su occuper une partie de l’espace politique, « à gauche », là où l’influence du mouvement national québécois des années 1960 et 1970 s’était étiolée.
Parallèlement, la progression de la guerre populaire dirigée par le Parti communiste du Pérou, qui risquait aux dires mêmes des services de renseignement étatsuniens de renverser le vieux régime et d’établir un régime de démocratie nouvelle dans ce pays, a fortement contribué à ce qu’Action socialiste s’empare du maoïsme et se solidarise avec les partis et organisations liées au MRI.
Le travail mené par Action socialiste dans le cadre du Bloc internationaliste et anti-impérialiste (BIA), mis sur pied en 1992 ; l’organisation des premiers « contingents rouges » dans les manifestations syndicales du 1er Mai ; la lutte de lignes qui s’est traduite par le départ des anciens militants du groupe Libération, qui ont renié leur passé antirévisionniste pour rejoindre le vieux Parti communiste canadien réformiste : toute cette période, de 1990 à 1994, en fut une intense de clarification politique, qui s’est conclue avec la tenue du 5e et dernier congrès d’AS, où l’orientation maoïste du groupe a été confirmée.
En 1997, le groupe a lancé un nouveau journal gratuit à diffusion de masse, Le Drapeau rouge, et entrepris de nouvelles initiatives plus audacieuses, toujours dans la perspective d’étendre et de faire rayonner son activité politique parmi les masses. L’organisation et le ralliement sont relancés avec la mise sur pied des « comités du Drapeau rouge », derrière lesquels s’effacera le groupe Action socialiste. Parmi les initiatives entreprises par les comités :
• Le 1er mai 1998, le contingent rouge dans la manifestation syndicale prolonge la manifestation, une fois celle-ci officiellement terminée, et occupe les rues du quartier Hochelaga-Maisonneuve à Montréal.
• Le 24 septembre 1999, les comités du Drapeau rouge prennent l’initiative de convoquer une manifestation, en réponse à un appel lancé par les défendeurs du militant afro-américain Munia Abu-Jamal, condamné à mort par le système judiciaire étatsunien.
• Quelques semaines plus tard, les militantes et militants organisés autour du Drapeau rouge jouent un rôle central dans la mobilisation en vue de la tenue du Sommet du Québec et de la jeunesse organisé par le gouvernement péquiste, qui aura lieu en février 2000 à Québec. Avec son appel à « attaquer le Sommet ! », le journal joue pleinement son rôle d’organisateur
collectif.
Durant toute cette période, l’appropriation du maoïsme par les camarades organisés autour du journal se traduit par une série de discussions sur la stratégie révolutionnaire et la conception du programme de la révolution. Un projet de programme est publié à l’été 2000, qui sera ensuite adopté au mois de novembre à l’occasion de la conférence communiste révolutionnaire, qui marque officiellement la fin des activités d’Action socialiste et la création du PCR(co) [Parti communiste révolutionnaire (comités d’organisation)].
2000-2007 : Le rythme s’accélère
L’audace ayant caractérisé la période de 1997 à 2000 restera un marqueur du PCR(co) nouvellement créé :
• À l’hiver et au printemps 2001, l’organisation participe à la mobilisation à l’occasion du Sommet des Amériques, à Québec, et collabore avec la Convergence des luttes anticapitalistes (CLAC), mise sur pied dans la foulée de cet événement. Un an plus tard, elle récidive, cette fois à Ottawa, pendant que les représentants des États membres du G8 tiennent leur sommet à Kananaskis, en Alberta ; dans le cadre de cette mobilisation (« Take the Capital »), le PCR(co) appelle à une marche sur l’ambassade américaine, qui rassemblera une centaine de personnes.
• En 2003, on tient une première manifestation pour le boycott des élections, à l’occasion de la campagne électorale provinciale. À chaque scrutin majeur dans les années qui vont suivre, le PCR(co) déploiera une vaste propagande autour de ce mot d’ordre.
• La même année, la revue politique Arsenal est lancée, pendant que se poursuit la publication du journal Le Drapeau rouge. À l’été 2004, un festival politique incluant trois jours d’activités, organisé sous l’égide de ce dernier, remporte un grand succès de participation.
• En 2005, on lance une nouvelle initiative, le Front rouge des jeunes (FRJ), en direction de la jeunesse prolétarienne regroupée dans les écoles secondaires et les écoles techniques.
• Des camarades partent s’établir à Toronto, afin de jeter les bases d’une organisation du parti en Ontario. Les contacts alors créés se traduiront par la participation de quelques camarades ontariens au premier Congrès révolutionnaire canadien (CRC), qui aura lieu à l’automne 2006.
• À l’occasion de la journée internationale des travailleurs et travailleuses le 1er mai 2006 et après avoir formé pendant des années des « contingents rouges » dans les manifestations syndicales, le PCR(co) appelle à la tenue d’une manifestation autonome dans le quartier Parc-Extension à Montréal, qui rassemblera quelque 200 personnes.
• Répondant à l’appel des participantes et participants au premier CRC, les membres du PCR(co), réunis en congrès, procèdent officiellement à la fondation du Parti communiste révolutionnaire, le 28 janvier 2007.
Dans ses premières années d’existence, le nouveau parti témoigne d’une grande capacité d’initiatives : organisation des « manifestations de villes » à l’été 2007, incluant à Salaberry-de-Valleyfield et Saint-Jérôme ; mobilisation et contingent anti-impérialiste au Forum social québécois ; mise sur pied du comité Fahad ; apparition du Mouvement étudiant révolutionnaire (MER) à l’automne 2008, à l’occasion du 40e anniversaire des occupations étudiantes de 1968 ; ouverture de la Maison Norman Bethune en 2009 ; etc.
La tenue du sommet du G20 à l’été 2010 à Toronto est à nouveau l’occasion d’une campagne politique et d’une mobilisation autonome importante du parti. Cette campagne a notamment permis de développer des liens avec des militantes et militants ontariens, dont certains participeront à l’automne au deuxième Congrès révolutionnaire canadien, à Toronto. L’intégration de nouveaux membres provenant du Social Revolution Party, basé à Ottawa, sera suivie de la mise sur pied de cellules du parti à Toronto et Ottawa.
Cet élargissement du parti, réalisé encore une fois trop rapidement, générera son lot de difficultés, à commencer par le défi de mettre en place une structure de direction centralisée à l’échelle du pays – une tâche qui n’a jamais vraiment été complétée.
À partir de l’année 2011, la capacité d’initiatives du PCR s’est affaiblie. Des conceptions et des pratiques opportunistes ont commencé à émerger, notamment – mais pas seulement – autour du MER et des groupes associés dans différentes villes au « Front féministe prolétarien ». Ces conceptions et pratiques se sont cristallisées dans un texte sur la ligne de masse ayant été présenté au troisième congrès du parti, en 2014.
Le PCR entrera par la suite dans une longue période d’affaiblissement et de déliquescence, qui culminera en 2016-2017 avec la tenue de son quatrième congrès et la scission qui s’en est suivie. Alors que la majorité de la direction, basée en Ontario, s’enfoncera dans l’opportunisme, les membres du parti au Québec assumeront la rupture avec le « PCR » dit « pancanadien » et tenteront de reprendre en mains le développement du parti. Une série de documents font état de cette lutte de lignes, dont le plus important est intitulé Nous sommes les continuateurs !
Au printemps 2018, la perspective de reconstruire et relancer le PCR sur des bases plus saines (c.-à-d. réellement marxistes, léninistes et maoïstes) était encore à l’ordre du jour. Les activités organisées dans le cadre de l’École communiste de Montréal à la Maison Norman Bethune, notamment, allaient permettre de clarifier certains éléments de ligne importants. Malheureusement, comme on le sait maintenant, le duo dirigeant du PCR s’est enfoncé dans une activité de plus en plus sectaire et confidentielle et a fini par procéder à la liquidation officielle du parti, quelques mois après que les opportunistes ontariens aient fait la même chose avec ce qui restait de leur organisation et cela, après avoir expulsé les camarades associés à la « direction historique » du PCR.
L’histoire du mouvement communiste canadien étant loin d’être terminée, nous reviendrons sur cet aboutissement navrant dans un prochain numéro.