Une histoire du mouvement communiste au Canada (II)

Il y a quatre ans, la Maison Norman Bethune a présenté une série de quatre conférences, dans le cadre des activités de l’École communiste de Montréal, sur l’histoire du mouvement communiste canadien. Les deux premières ont été retranscrites à l’été 2018 dans le numéro 10 de la revue Arsenal, alors publiée par le PCR. Elles portaient sur les origines du Parti communiste du Canada et son développement jusqu’à la fin des années 1940. Le texte que nous présentons dans les pages qui suivent est basé sur la troisième de cette série de conférences et nous mène jusqu’à l’émergence du nouveau mouvement marxiste-léniniste des années 1970. La dernière partie sera présentée dans notre prochain numéro.

* * *

Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, le Parti communiste du Canada, devenu le Parti ouvrier progressiste (POP), a définitivement abandonné l’idée même de la prise du pouvoir par la révolution – qui n’est jamais autre chose que le renversement violent d’une classe par une autre. Dans le contexte de la Guerre froide, et en dépit des efforts qu’il multiplie pour apparaître comme un participant loyal à l’activité parlementaire et au système bourgeois, le POP demeure marginalisé et victime de la répression étatique, comme en témoigne l’affaire Gouzenko, qui verra l’arrestation et l’emprisonnement de son unique député Fred Rose.

Son leader Tim Buck écrit : « 1946 n’est pas 1917. Les conditions existent pour que la classe ouvrière et le peuple, s’ils consolident leur unité, affaiblissent et contiennent les monopolistes et, à travers la paix, le progrès et la démocratie, avancent vers le socialisme. » Le POP milite alors pour une alliance avec le Parti libéral, à laquelle il participerait en compagnie du CCF – la Fédération du Commonwealth coopératif, qui deviendra plus tard le Nouveau Parti démocratique (NPD).

Cette orientation profondément révisionniste sera contestée par une poignée de membres, dont le représentant le plus solide fut Fergus McKean, le secrétaire provincial du parti en Colombie-Britannique. Rapidement expulsé avec ses supporters, McKean ne réussit jamais à rassembler un groupe suffisamment fort pour constituer une organisation capable de reprendre le chemin de la révolution. Les années 1950 seront ensuite celles d’un long déclin pour le POP, qui tout en poursuivant ses vaines tentatives d’intégration dans la sphère politique bourgeoise, s’alignera de plus en plus derrière la direction du Parti communiste de l’Union soviétique (PCUS).

Pour la gauche et les réseaux bien intégrés à l’in­té­rieur du système qui avaient pu, à une certaine époque, collaborer avec le PCC, il n’était désormais plus question, ni très utile, de se porter à sa défense. Le maccarthysme et la chasse aux communistes, s’ils ne prendront pas une forme aussi radicale qu’aux États-Unis à ce moment-là, imprégnaient néanmoins la scène politique canadienne.

Dans un chapitre du tome 3 de l’ouvrage Idéologies au Canada français 1940-1976, les historiens Robert Comeau et Bernard Dionne citent à cet égard le secrétaire général de la Confédération des travailleurs catholiques du Canada (l’ancêtre de la CSN), Jean Marchand, qui écrivait dans le journal Le Travail : « Afin de prévenir l’infil­tration communiste dans les rangs des unions ouvrières, la C.T.C.C. demande aux employeurs d’être prudents lors de l’embauche de nouveaux ouvriers qu’ils ne connaissent pas et à la police de collaborer avec les syndicats afin de leur faire connaître les noms des agents communistes reconnus. » De fait, la centrale syndicale demanda à plus d’une reprise l’interdiction pure et simple du POP.

Comeau et Dionne expliquent que « loin de provoquer un retour à la tactique “classe contre classe” et à une stratégie ouvertement révolutionnaire, cette situation amena plutôt le P.O.P. à mettre de l’avant la lutte pour la paix et pour l’indépendance canadienne face à l’impérialisme américain comme tâches prioritaires » 1. Le POP ne réussira jamais à sortir de l’impasse dans laquelle il se trouvait, entre sa volonté de travailler à l’intérieur du système pour éventuellement réaliser une sorte de passage pacifique au socialisme, et sa marginalisation par ceux-là même avec lesquels il cherchait à s’intégrer.

Ses effectifs suivront dès lors une courbe descendante :

         Québec   Canada

1947    2 500      23 000

1956     900           

1960     400        3 000

À la fin des années 1950, le POP aura perdu tout son lustre et n’apparaîtra plus que comme une « succursale » du PCUS. En 1959, c’est dans l’indifférence générale qu’il reprit le nom de Parti communiste du Canada, sans que cela n’inquiète outre mesure les autorités, qui continueront néanmoins à le surveiller dans le contexte de la Guerre froide.

Henri Gagnon et le Québec

Bien qu’elle n’ait quand même pas été négligeable durant sa période d’expansion dans les années 1930 – comme en témoigne l’élection de Fred Rose en 1943 à Montréal – l’influence du Parti communiste du Canada au Québec a toujours été moins forte que dans le reste du Canada. Les difficultés rencontrées par le parti, au sortir de la guerre, se sont aussi manifestées au Québec.

En 1947, l’un des organisateurs les plus compétents du POP, Henri Gagnon, qui dirige la Ligue des vétérans sans-logis en collaboration avec des nationalistes québécois et des jeunes travailleurs chrétiens, est critiqué pour son « économisme » et finit par en être expulsé. Dans la foulée de cet événement, on estime que 300 des quelque 700 membres francophones du parti s’en retireront ou en seront expulsés. La position du POP sur la question du « Canada français » s’avère l’une des divergences qui sous-tend cette scission. Ce n’est en effet que cinq ans plus tard, en 1952, que le POP reconnaîtra officiellement le droit du Québec à l’autodétermination.

En 1956, Gagnon réintégrera le POP, mais les retrouvailles feront long feu et il poursuivra finalement son activité politique et syndicale à l’extérieur du parti, jusqu’à son décès en 1989. La zone d’influence du POP/PCC au Québec, déjà plus faible qu’ailleurs, s’en trouvera considérablement réduite – un phénomène qui persiste encore aujourd’hui.

Le 20e congrès du PCUS et le « Grand débat »

Comme pour l’ensemble des partis et organisations qui étaient alignés sur « le grand frère russe », la présentation du fameux rapport secret du premier secrétaire Nikita Khrouchtchev au 20e congrès du Parti communiste de l’Union soviétique en 1956 a causé tout un choc au PC canadien. Pendant une courte période (un an), un certain nombre de militants, incluant d’ex-dissidents qui l’avaient réintégré, ont souhaité s’appuyer sur le mouvement de « déstalinisation » déclenché par Khrouchtchev pour critiquer le suivisme à l’égard de l’URSS de la direction du parti. Parmi eux, il y avait entre autres un des rares leaders québécois d’envergure à en être resté membre, Gui Caron.

Pour certains, le rapport secret sur « les crimes du stalinisme » faisait la preuve que le socialisme pouvait se renouveler et qu’il était possible de le perfectionner. D’autres, au contraire, y voyaient l’occasion de remettre en cause le centralisme démocratique et la dictature du prolétariat. Ces derniers furent toutefois rapidement isolés et expulsés du parti, quand ils ne le quittèrent pas d’eux-mêmes (ce fut le cas, entre autres, de Caron).

Dans les mois et les années qui ont suivi les « révélations » de Khrouchtchev, peu nombreux sont les militants du PC canadien à avoir refusé de suivre l’une ou l’autre de ces deux voies. La majorité ont adhéré aux thèses défendues par le dirigeant soviétique au sein du mouvement communiste international, dont la « coexistence pacifique » entre le socialisme et le capitalisme et le « passage pacifique au socialisme ».

L’émergence du « Grand débat » au sein du mouvement communiste international, qui opposa Mao Zedong et le Parti communiste chinois à la direction du PCUS, eut néanmoins un certain impact au Canada, bien que sans doute pas aussi important que dans d’autres pays – à tout le moins dans un premier temps. Une fois la rupture sino-soviétique consommée pour de bon en 1963, un groupe de militants du PCC s’en sont détachés et se sont ralliés aux thèses défendues par le Parti communiste chinois.

Principalement basés en Colombie-Britannique autour de Jack Scott, ces militants fondèrent un an plus tard le Progressive Worker Movement (PWM) – premier effort d’organisation antirévisionniste au Canada, après la tentative avortée de Fergus McKean dans les années 1940. Scott joua également un rôle central dans la mise sur pied de l’Association pour l’amitié Canada-Chine, qui contribua à faire connaître les avancées de la révolution chinoise et à intéresser ce faisant une nouvelle génération de militantes et militants au socialisme et à la critique du révisionnisme. Jack Scott eut notamment l’occasion d’aller en Chine et d’y rencontrer le président Mao.

Bien qu’il ne réussît jamais à créer un nouveau parti marxiste-léniniste, le PWM a néanmoins incarné, jusqu’à sa dissolution en 1970, la possibilité d’un pôle révolution­naire et antirévisionniste – à tout le moins au Canada anglais. Basé principalement en Colombie-Britannique et secondairement en Ontario, le PWM, par principe, a refusé tout au long de ses six années d’existence de créer une section au Québec, sur la base que cela aurait constitué une négation du droit du Québec à l’autodétermination.

Cela dit, la rupture qu’il a opérée avec le PCC révisionniste n’a jamais été complète ni pleinement assumée. Le PWM était en effet d’avis que la contradiction principale au Canada opposait le peuple canadien à l’impé­rialisme américain – d’où le fait qu’il mit toujours l’accent sur la lutte pour « l’indépendance du Canada », qu’il voyait comme une néo-colonie des États-Unis. Sur ce plan, sa perspective n’était pas si différente de celle du PCC.

Après la dissolution du PWM en 1970, Jack Scott et certains de ses camarades ont continué à militer dans ce qu’on connaîtra comme le mouvement marxiste-léniniste des années 1970. À Vancouver, ils formeront un nouveau groupe, le Vancouver Study Group / Red Star Collective. Scott participera éventuellement aux trois premières conférences sur l’unité des marxistes-léninistes organisées par le groupe EN LUTTE !, mais il ne rejoindra jamais l’une ou l’autre des principales organisations ML en émergence. Dans les années 1980, alors que ses activités militantes étaient réduites, il se montra néanmoins critique de la nouvelle direction du Parti communiste chinois ayant pris le pouvoir après la mort de Mao. Relativement isolé à partir de là, il s’est éteint en l’an 2000.

Un monde en bouleversement

La décennie des années 1960 en aura été une de grands bouleversements, partout dans le monde :  mouvement de décolonisation dans les pays du tiers-monde, luttes de libération nationale, opposition à l’infâme guerre du Viêt-Nam, révoltes de la jeunesse et des ouvrières et ouvriers en 1968… Comme le disait le Parti communiste chinois pour caractériser l’époque : « Les pays veulent l’indépendance, les nations veulent la libération, les peuples veulent la révolution, c’est là le courant principal de la situation internationale, un courant qu’aucune force ne peut endiguer. »

Ce courant a été largement inspiré par les avancées dans la construction du socialisme en Chine, avec le déclenchement de la Grande Révolution culturelle prolétarienne – cette « révolution dans la révolution » qui visait à empêcher une nouvelle bourgeoisie de renverser le pouvoir ouvrier et paysan, comme cela s’était produit en Union soviétique.

Au-delà de Jack Scott et son Progressive Worker Movement, le maoïsme a alors acquis une certaine influence au Canada, auprès d’une nouvelle génération de militantes et de militants. Au Québec en particulier, la montée des luttes ouvrières et du mouvement national – qui portait encore à cette époque des revendications démocratiques – ont été un terreau fertile à l’émergence de nouvelles organisations d’avant-garde influencées par la révolution chinoise et la critique du « révisionnisme moderne ».

La direction du Parti communiste du Canada a vu avec effroi le rapprochement de cette nouvelle génération militante avec le maoïsme. Dans son histoire officielle publiée en 1982 2, le PCC se plaint du fait que « les maoïstes chinois parrainèrent la formation de regroupements ultra-gauchistes inclinés vers la violence ». Faisant référence aux discussions qu’une délégation du PCC avait eues en 1963 à Beijing avec des membres du Comité central du Parti communiste chinois, les historiens du parti se scandalisent que « les représentants chinois niaient qu’une révolution socialiste pouvait être réalisée par d’autres moyens que la lutte armée ». En réponse, la délégation canadienne avait affirmé que « dans certains pays, une transition relativement paisible au socialisme était une possibilité réelle », et que « tel était le cas au Canada ».

La différence entre le maoïsme et le révisionnisme, au cœur du Grand débat qui traversait le mouvement communiste international, ne pouvait être mieux résumée. Et l’écart entre le révisionnisme et la réalité de la lutte de classes dans cette période tumultueuse ne pouvait être plus prononcé.

C’est dans ce contexte qu’a émergé le nouveau mouvement marxiste-léniniste.

Le cas particulier du « PCCML »

Nous passerons rapidement, dans le cadre de cet exposé, sur le cas du « PCCML » – le Parti communiste du Canada (marxiste-léniniste), qui existe encore aujourd’hui et qui s’avère sans doute plus que jamais une caricature du marxisme-léninisme, pour reprendre le titre d’un ouvrage publié en 1975 par le Mouvement révolutionnaire des étudiants du Québec.

Créé officiellement en 1970 à partir d’un groupe étudiant fondé sept ans plus tôt à l’Université de la Colombie-Britannique par Hardial Bains, le PCCML n’a jamais été qu’une curieuse distraction dans le mouvement communiste canadien. Après avoir clamé pendant sept ans que « le président Mao est notre président », ce groupe a soudainement rompu avec le maoïsme en 1977, pour se ranger derrière Enver Hodja et la direction du Parti du travail d’Albanie, après que ces derniers eurent rejeté Mao comme étant un « démocrate bourgeois ».

Après la chute du régime albanais au tournant des années 1990, le PCCML s’est tourné vers Cuba et la Corée du Nord, à la recherche d’un autre « pays socialiste modèle » dont il ferait la promotion de la façon caricaturale qu’on lui connaît. Depuis la mort de son leader Hardial Bains en 1997, le PCCML poursuit ses interventions sporadiques autour de slogans aussi incompréhensibles que dépourvus de quelque perspective révolutionnaire, allant de la « lutte pour le renouveau démocratique » à « l’humanisation de l’environnement naturel et social » (?).

Le mouvement ML au Québec

C’est au Québec que le nouveau mouvement marxiste-léniniste prendra racine avec le plus de profondeur. Au lendemain de la crise d’Octobre et au terme de l’expé­rience felquiste, nombreux sont les militants qui choisiront d’ancrer leur activité sociale et politique dans la perspective du socialisme et de la révolution. Le vieux Parti communiste du Canada ayant définitivement aban­donné la voie de la révolution, des organisations et des collectifs fleurissent, qui s’inspirent du maoïsme et de la lutte antirévisionniste et retournent aux fondements du marxisme et du léninisme.

En 1971, le Mouvement révolutionnaire des étudiants du Québec (MREQ), partiellement issu du PCCML, lance le journal Partisan et ouvre la librairie Ho Chi Minh. Un an plus tard, le militant Charles Gagnon, connu pour son implication au Front de libération du Québec, publie un essai intitulé Pour le parti prolétarien, autour duquel plusieurs se rallieront. Le mouvement connaîtra un essor extrêmement rapide, et la plupart des collectifs finiront par se regrouper autour de deux organisations : le groupe EN LUTTE ! et la Ligue communiste (marxiste-léniniste) du Canada.

Un phénomène similaire, quoique de moindre ampleur, se produira aussi dans les autres provinces. EN LUTTE ! et la Ligue s’affirmeront comme les deux principales organisations marxistes-léninistes à l’échelle canadienne. Avec des nuances, toutes deux défendront une ligne et une vision différentes du PCC. Pour elles, le Canada est un pays impérialiste et la bourgeoisie canadienne est le principal ennemi de la classe ouvrière. La révolution socialiste est à l’ordre du jour et il appartient au prolétariat de la mener, sous la direction de son parti d’avant-garde.

L’expansion du mouvement marxiste-léniniste est spectaculaire – surtout au Québec. En à peine quelques années, il rassemble jusqu’à 5 000 membres et sympathisants, dont 80 % dans cette province. EN LUTTE ! et la Ligue organisent des assemblées publiques auxquelles participent des milliers de personnes. Le 1er mai 1977, à la traditionnelle manifestation syndicale à Montréal, les contingents marxistes-léninistes rassemblent 3 000 des 7 000 manifestantes et manifestants.

Les deux organisations publient chacune un journal hebdomadaire, dans les deux langues, dont la diffusion totale dépasse les 20 000 exemplaires. Elles dirigent des organisations de masse et gagnent en influence dans le mouvement syndical. La Ligue, surtout, acquiert un rayonnement certain dans la classe ouvrière. Les deux organisations, cela dit, resteront dirigées jusqu’à la fin par des militantes et militants aux profils intellectuels et petit-bourgeois.

Bien qu’elles adhèrent toutes deux au marxisme-léninisme et épousent une ligne stratégique relativement similaire (basée sur le travail légal et l’accumulation de forces jusqu’à ce que les conditions soient mûres pour le déclenchement d’une insurrection), les divergences entre les deux organisations, qui apparaissent d’abord mineures, finiront par se cristalliser. La Ligue critiquera les imprécisions de la position d’EN LUTTE ! sur la contradiction principale ; cette dernière dénoncera « l’économisme » de la Ligue et son soutien à la « théorie des trois mondes » promue par le chef de file des révisionnistes chinois, Deng Xiaoping.

À la fin de l’année 1977, la Ligue décrète qu’EN LUTTE ! « ne fait plus partie du mouvement marxiste-léniniste ». Dès lors, il ne sera plus jamais question d’une démarche qui aurait pu mener vers l’unité entre les deux organisations. En 1979, la Ligue se transforme et devient le Parti communiste ouvrier (PCO), alors que le groupe EN LUTTE ! adopte le nom d’Organisation communiste marxiste-léniniste EN LUTTE !

Au tournant des années 1980, l’élan du mouvement marxiste-léniniste n’y est plus. Des militantes et militants issus du mouvement national des années 1960 vivent mal l’échec du référendum sur la séparation du Québec de 1980 et surtout, que leur organisation ait fait campagne pour l’annulation. Le ralliement stagne, alors que le mouvement ouvrier traverse une période de reflux. Le triomphe de la nouvelle bourgeoisie en Chine génère un profond défaitisme quant à la possibilité de la révolution. Enfin, les thèses à la mode dans les cercles petits-bourgeois sur les « nouveaux mouvements sociaux » pénètrent les deux organisations.

Après deux ans pendant lesquelles son secrétaire général aura tenté de mener un débat sur l’expérience historique du mouvement communiste et la critique du révisionnisme, l’OCML EN LUTTE ! tient son congrès, en juin 1982, où la proposition de dissoudre l’organisation est adoptée à une large majorité.

Quant au PCO, une révolte interne contre certaines pratiques de la direction et de son « groupe de sécurité » conduira en l’espace de quelques mois à son éclatement. Bien que son congrès, en janvier 1983, ait rejeté la proposition de dissolution, il ne faudra que quelques semaines pour que le PCO s’effondre.

Un héritage à chérir

Apparu de manière spectaculaire sur la scène politique, le mouvement marxiste-léniniste est disparu tout aussi rapidement. Pendant plusieurs années – et encore aujourd’hui – nombreux sont les renégats et les ennemis de la classe ouvrière qui l’ont présenté comme une anomalie, voire un « cauchemar » ayant frappé le Québec.

Lors d’une conférence tenue à l’été 2004, un camarade ayant milité en son sein a fait cette mise au point :

« Le mouvement ML fut un mouvement parfaitement légitime. Sa création fut le prolongement d’un mouvement réel, et non quelque chose qui fut importé, plaqué, voire imposé de l’extérieur, comme le prétend Pierre Dubuc[1] avec ses thèses conspirationnistes. Le mouvement ML était bien en phase, comme on dit, avec le mouvement de masse qui existait à l’époque. Son développement fulgurant et les succès qu’il a rapidement remportés en témoignent de manière évidente.

Le mouvement ML a eu un impact réel et considérable ; et contrairement à ce que prétend Dubuc, cet impact s’est fait sentir non seulement parmi la petite bourgeoisie et chez les étudiantes et étudiants, mais aussi dans la classe ouvrière et les couches populaires. […] La rupture avec le PQ et son projet, proposée par le mouvement ML, arrivait à point ; elle correspondait à un sentiment réel parmi la gauche et les travailleurs et travailleuses les plus militants, qui découlait de leur propre expérience de 10 à 15 ans de lutte – y compris de lutte nationale.

Elle correspondait aussi à l’évolution de la question nationale elle-même : à savoir que la période historique qui avait été marquée surtout par la résistance à l’oppression nationale (dont le contenu avait été principalement positif pour les masses populaires) avait dorénavant cédé la place à la promotion d’un projet d’émancipation bien précis qui était celui de la bourgeoisie nationale (ce que la création du PQ symbolisait très bien). […] L’affirmation du mouvement marxiste-léniniste représenta la victoire du point de vue de classe sur le point de vue nationaliste. »

Comme on l’a brièvement évoqué plus haut, malgré ses qualités et ses réalisations réelles, le mouvement ML des années 1970 a néanmoins représenté une rupture incomplète avec le révisionnisme. Il a finalement peu avancé sur les questions de stratégie et la définition de la voie de la révolution. Après sa disparition, il aura fallu quelques années avant que la révolution revienne à l’ordre du jour et s’impose dans l’activité des militantes et militants ayant à cœur la libération de la classe ouvrière.

C’est de cette période dont nous traiterons dans notre prochaine conférence.

(À suivre)


1  Robert Comeau et Bernard Dionne, « Le parti ouvrier-progressiste en crise, 1946-1956 », dans Idéologies au Canada français 1940-1976, Tome III, Presses de l’Université Laval, 1981.

2  Le Parti du socialisme au Canada : L’histoire du Parti communiste du Canada 1921-1976, Les Éditions Nouvelles frontières, 1985, p.255.

[1]  Rédacteur en chef de la publication nationalo-péquiste L’Aut’journal, Pierre Dubuc a également été associé à un groupe obscur appelé L’Union bolchevique du Canada, dont l’essentiel de l’activité était de critiquer EN LUTTE ! et le PCO.