Nous poursuivons la publication d’archives du courant politique représenté historiquement par le groupe Action socialiste (1986-2000) et ensuite par le Parti communiste révolutionnaire (PCR). L’équipe qui a animé la Maison Norman Bethune de 2009 à 2024 soutient toujours le programme du PCR ; nous considérons en outre que l’expérience historique du courant maoïste québécois contemporain, interrompue par la liquidation du PCR au printemps 2022, n’a pas encore été surpassée et qu’elle s’avère incontournable.
Le texte ici-bas a été publié originalement en janvier 1993 dans le numéro 54 du journal Socialisme Maintenant !, alors publié par le groupe Action socialiste. Il présentait une analyse critique du régime cubain, faussement promu comme « la pointe avancée de la révolution mondiale » par les révisionnistes. Trente ans plus tard, les éléments critiques fondamentaux qu’il contenait nous apparaissent encore pertinents, en dépit des changements intervenus depuis tant à Cuba que dans « l’ordre mondial ».
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Menacé, comment répond Cuba ? L’avenir immédiat du régime cubain, abandonné par le social-impérialisme déchu, gardé en joue par les vautours de l’impérialisme américain, est plus qu’incertain. Si la question cubaine n’était qu’une question de solidarité, ce serait simple. Notre sang est acquis aux peuples qui luttent. Mais Cuba, c’est aussi des questions posées à la révolution.
Depuis que les régimes de l’ex-URSS et des pays d’Europe de l’Est ont spectaculairement jeté aux ordures le masque du socialisme derrière lequel ils se dissimulaient encore au tournant des années 1990, les organisations et les courants de la gauche traditionnelle de par le monde sont agités de puissants remous qui contribuent à redessiner une toute nouvelle carte politique.
En Europe et au sein des pays impérialistes, les partis et organisations révisionnistes et réformistes (anciens partis communistes, socialistes modérément critiques des gouvernements PS, les diverses grappes « d’alternatives », les trotskystes qui veulent entrer… mais où ?, etc.) cherchent à conserver un espace viable pour une politique pourtant inutile. Comme c’est le cas en France présentement, c’est une véritable chamaille pour savoir qui va rassembler qui, et à gauche de quoi ? Tout est affaire de logo, d’initiatives médiatiques et électoralistes, de bons mots et de phrases creuses. Mais en fait de contenu et de substance pour que se construisent de véritables alternatives révolutionnaires, c’est zéro ! La crise et les transformations accélérées du capitalisme d’État en URSS et en Europe de l’Est ont littéralement lessivé la plupart de ces courants.
C’est que après avoir tourné le dos à la révolution prolétarienne pendant tant d’années, les diverses familles du révisionnisme actuel n’ont plus maintenant le ressort et l’intelligence qu’il faut pour mener la politique qui pourra « changer le monde ».
Dans les pays du tiers-monde, le choc fut lui aussi puissant. Des peuples, des luttes, des millions de personnes ont été vulgairement marchandés par le banditisme de grand chemin qu’habillait la frénésie négociatrice des États-Unis et de l’URSS sous Gorbatchev. En 1989, le gouvernement soviétique déclarait qu’il « n’a jamais livré d’armes au FMLN ni à aucun autre mouvement rebelle en Amérique centrale et ne s’apprête pas à le faire. Dans le but de faciliter un règlement politique dans la région, l’URSS a même cessé de livrer des armes au Nicaragua. » (Le Monde, 17/11/1989)
Toutes les organisations dans le tiers-monde qui dépendaient à un degré ou un autre, stratégiquement et/ou politiquement de l’URSS et du révisionnisme, ont subi les contrecoups de la disparition du soi-disant « camp socialiste ». Liquidation, déroute et négociations à rabais témoignent du prodigieux gouffre que le social-impérialisme aura laissé comme héritage au camp anti-impérialiste. Nécessairement, les grandes puissances capitalistes, menées tambour battant par les États-Unis, en profitent et policent le monde à qui mieux mieux, régentent tout, surveillent les frontières, se donnent à elles-mêmes, dans leur conclave du conseil de sécurité, le mandat de régler le sort de tous les peuples. Ce fut la guerre contre l’Irak ; la bénédiction donnée à la Turquie pour massacrer les Kurdes ; les négociations-piège sur la Palestine ; la « pacification » (!) de l’Afrique australe et de l’Amérique centrale.
Dans ces pays soumis à la domination de l’impérialisme, les courants politiques prolétariens, petits bourgeois et nationalistes qui sont de près ou de loin affectés et remis en cause par la chute du révisionnisme, cherchent une issue. En Amérique latine par exemple, le Forum de Sao Paulo, une initiative du Parti des travailleurs du Brésil, s’est réuni pour la troisième fois en juillet 1992 à Managua au Nicaragua. Lavallas, la Gauche unie du Pérou, les sandinistes, le FMLN, l’opposition mexicaine, le PT brésilien, le Parti communiste cubain et un grand nombre de partis de gauche du continent ont participé à cette rencontre, dans le but de tracer la voir pour qu’émerge une « nouvelle gauche » en Amérique latine. Le moins qu’on puisse dire à l’étape actuelle, c’est que ce Forum de Sao Paulo a plus de chance de renouveler la voir de l’intégration de la gauche à la politique bourgeoise et impérialiste que de renouveler la gauche révolutionnaire sur le continent.
Selon un commentateur de cet événement, William Robinson du Centre d’études internationales de Managua, les paradigmes de la nouvelle gauche latino-américaine, tels qu’ils ressortent des documents et des discussions du Forum, se résument ainsi : « Révolution et démocratie sont indivisibles ; les projets révolutionnaires pourront s’épanouir dans un contexte de pluralisme social et de compétition civile et électorale ; le fétichisme de la lutte armée n’est plus de mise ; les mouvements révolutionnaires doivent être moins tranchés idéologiquement et plus pragmatiques ; les réformes et les changements révolutionnaires ne sont pas les projets d’une seule classe ; il faut revoir les rapports entre l’État et la société civile ; le temps des avant-gardes est terminé, il faut miser sur l’autonomie des mouvements sociaux. » (Monthly Review, décembre 1992)
Par ces conceptions, que l’on retrouve également un peu partout à travers le monde dans tous les milieux anti-impérialistes, les organisations latino-américaines, et parmi elles, certains des partis les plus influents du continent, acceptent finalement de demeurer sur les positions défensives que leur impose l’impérialisme américain. Ces conceptions et ce qu’elles induisent au fond ne constituent pas la base d’un renouvellement de la révolution, mais un indice de son cantonnement volontaire.
Face à la toute-puissance de l’impérialisme, toutes les organisations prolétariennes et paysannes ont en effet à choisir entre un redéploiement des forces révolutionnaires à partir de conceptions claires, appuyées sur les plus solides acquis du marxisme-léninisme, ou alors un compromis défensif de longue durée, qui, dans l’état actuel des choses n’est garant de strictement rien. Ainsi, quand le Forum de Sao Paulo en juillet dernier débat de la situation au Pérou, il se garde bien d’appuyer la guerre populaire qui s’y déroule et qui menace l’État en place ; il se contente plutôt d’exiger le rétablissement des droits démocratiques et l’élection d’un congrès constituant. En l’espèce, les partis et organisations du Forum donnent l’exemple d’un choix pour le cantonnement plutôt que pour l’offensive.
Quel alignement prend le PC cubain ?
Dans la conjoncture mondiale actuelle, beaucoup de militants-es révolutionnaires et anti-impérialistes considèrent que la confrontation entre Cuba et l’impérialisme américain, qui perdure encore 34 ans après le renversement du régime fantoche de Batista, démontre que la direction castriste qui est à la tête de la révolution cubaine, compte encore parmi les rares forces qui poussent vers l’avant le mouvement révolutionnaire en Amérique latine et dans le monde.
Pour eux et elles, l’audience et l’influence encore considérables du castrisme chez les peuples du continent, en même temps que l’isolement politique de Cuba sur ses positions socialistes et anti-impérialistes depuis l’effondrement des pays du Bloc de l’Est, placent actuellement Cuba à la tête de la révolution. C’est une illusion.
Il est vrai que les enjeux actuels pour le peuple cubain sont tout simplement titanesques. Toute résistance de sa part devant l’impérialisme américain est nécessairement un fait de l’histoire considérable, compte tenu des conditions géopolitiques et économiques auxquelles cette résistance se trouve confrontée. Il n’en demeure pas moins que devant ces enjeux, la direction castriste n’est pas à la hauteur. Son histoire, la nature du régime qu’elle a façonné, et les perspectives qui sont les siennes actuellement, en particulier depuis le quatrième congrès du PCC qui s’est tenu en octobre 1991, hypothèquent grandement l’avenir de la révolution à Cuba. À l’instar d’un bon nombre de partis et d’organisations en Amérique latine, le PC cubain n’a pas répondu à la crise du révisionnisme par un redéploiement révolutionnaire appuyé sur les meilleurs acquis du marxisme-léninisme ; il ne l’a pas fait parce qu’il est lui-même inscrit dans cette crise du révisionnisme. En dépit des apparences, le PC cubain cherche, comme la plupart des autres partis du Forum de Sao Paulo, à assurer la viabilité de sa ligne opportuniste et hésitante.
Le premier janvier dernier, cela a fait 34 ans que l’armée rebelle du Mouvement du 26 juillet a renversé le régime dictatorial de Fulgencio Batista et instauré à La Havane, aux portes de l’empire américain, un gouvernement révolutionnaire, patriotique et anti-impérialiste, résolument hostile à la mainmise jusque-là étanche des États-Unis sur le sort et les destinées de cette île des Caraïbes.
Cette révolution, dont les étapes marquantes et les principaux faits sont largement connus de par le monde (l’attaque de la Moncada, le débarquement du Granma, la guérilla du Mouvement du 26 juillet, la prise du pouvoir, le blocus américain, l’épisode de la Baie des Cochons, la crise des fusées, etc.) a rapidement posé, alors que s’amorçaient les années 1960, un défi de deux ordres. À l’impérialisme américain d’abord, qui voyait sa domination contestée à 150 kilomètres de ses côtes par un petit pays de 10 millions d’habitants, miséreux et analphabètes. Aux partis communistes du continent d’autre part, liés à l’URSS, et qui étaient profondément incrustés dans la politique bourgeoise, montrant pour certains la plus grande ineptie au niveau des tâches proprement communistes et révolutionnaires.
Sans refaire dans le présent article toute l’évolution et le bilan de la révolution cubaine au cours des 30 dernières années, il est nécessaire de se rappeler qu’aux premières heures de cette révolution, et pendant toute sa première période, ce dont se réclamait le régime nationaliste et anti-impérialiste de Fidel Castro avec le plus de fermeté et d’insistance, c’est du projet d’émancipation économique de Cuba des griffes de l’impérialisme, et en second lieu, d’une certaine vocation du Mouvement du 26 juillet à renouveler le processus révolutionnaire en Amérique latine. La révolution cubaine devait libérer le peuple de Cuba des servitudes de la domination impérialiste, et regénérer tout le mouvement de libération. Ces objectifs eurent à l’époque un ascendant réel chez d’innombrables révolutionnaires de par le monde. Beaucoup d’entre eux et elles ne mesurèrent pas nécessairement, et cela est compréhensible, toute l’amplitude stratégique et politique que recouvraient ces tâches : vaincre l’impérialisme et renouveler le mouvement révolutionnaire.
Pendant toute la période des années 1960, une partie de la jeunesse du monde, des intellectuels-les, des organisations, des mouvements en Amérique latine et ailleurs, virent dans un style particulier, dans le volontarisme des méthodes, dans les thèmes et les figures emblématiques de la révolution cubaine, de quoi pouvant suffire pour rencontrer ces objectifs. Ce qui étonne et s’explique difficilement à 30 ans de distances, c’est qu’aujourd’hui encore, des partis, des courants internationaux et des militants-es révolutionnaires, continuent à voir dans le castrisme la pointe la plus avancée de la lutte anti-impérialiste et une direction adéquate pour les révolutionnaires du monde entier.
Il serait bien plus juste, plus utile et finalement plus constructif pour les communistes sincères, de reconnaître que le castrisme fut surtout une esquive majeure pour une grande partie du mouvement anti-impérialiste devant les enjeux gigantesques posés aux révolutionnaires des années 1960 par l’accumulation des luttes dans le tiers-monde (la « zone des tempêtes »), le conflit entre la Chine et l’URSS et la contestation du révisionnisme par le maoïsme et la révolution culturelle chinoise.
Le castrisme a objectivement contribué à replacer sur ses rails le révisionnisme, alors que la contestation issue de l’intérieur du mouvement communiste, liée au renouvellement accéléré des générations de militants et de militantes révolutionnaires partout dans le monde pendant toutes les années 1960 à la faveur des nombreuses luttes ouvrières et paysannes, commençait à menacer les croque-morts de la révolution du PCUS.
Que cette adhésion ait été sincère il y a 30 ans, c’est possible, et même évident pour beaucoup de révolutionnaires. Mais cette même adhésion aujourd’hui fait figure de retraite vers l’arrière, d’un refus de condamner de manière conséquente le révisionnisme et les formes capitalistes du « socialisme » qu’il a soi-disant encouragé et appuyé à travers le monde.
D’un impérialisme à l’autre
Il est certain que la révolution cubaine a été et est encore radicale en regard de l’impérialisme américain. Le blocus économique serré que les États-Unis maintiennent depuis 1961 y contribue pour beaucoup. Une part de l’appui que le peuple cubain manifeste à l’endroit de la révolution et du régime castriste tient au patriotisme nourri par les luttes pour l’indépendance et par la résistance face aux États-Unis, alors que ceux-ci considéraient Cuba comme une de leurs dépendances. En 1959, les USA possédaient 90 % des mines de Cuba et 50 % des terres. Ils contrôlaient 67 % des exportations et 75 % des importations cubaines. L’économie de ce pays était donc largement dépendante des États-Unis.
La révolution cubaine devait donc rompre avec cette dépendance et répondre en même temps aux besoins des masses. L’expropriation de la bourgeoisie a permis d’améliorer grandement le niveau de vie du peuple cubain. Un peu tout le monde reconnaît que Cuba a remporté d’éclatantes victoires contre la grande pauvreté, contre la faim et la malnutrition, la maladie, et l’analphabétisme. Les services collectifs offerts au peuple cubain ont rendu possible la presque éradication de ces maux qui résultent de la domination impérialiste du tiers-monde.
Mais Cuba ne s’est pas extirpé de la dépendance économique. Alors qu’un enjeu des luttes de libération dans les années 1960 se trouvait justement dans la construction de sociétés émancipées de la tutelle impérialiste et néo-coloniale, Cuba n’est parvenu, suite à son adhésion en 1972 au Conseil d’aide économique mutuelle (le COMECON) et à la planification progressive de son économie en fonction de la division du travail au sein du COMECON, qu’à une aussi pesante dépendance à l’égard de l’URSS, et dans une moindre mesure, des autres pays d’Europe de l’Est. En 1984, l’URSS comptait pour 64 % du commerce extérieur cubain. Ce qui n’est pas très éloigné des proportions atteintes par les USA au même chapitre juste avant la révolution. De plus, jamais avant le milieu des années 1980, Cuba n’avait-il concentré une aussi grande proportion de ses ventes de sucre à un seul et même client, à savoir l’URSS.
Cuba était aussi largement redevable de l’URSS pour son alimentation en pétrole. Une part importante des biens de consommation disponibles à Cuba venait des pays du COMECON. Cette division du travail et les échanges au sein du COMECON accrurent de 1972 à 1985 la surspécialisation de Cuba dans la production du sucre, des agrumes, du nickel et du rhum. Pendant un temps, Cuba sembla en tirer certains avantages. Mais la crise profonde des économies en Europe de l’Est et l’éclatement de l’URSS ont fini par désorganiser complètement l’économie cubaine.
Au début de 1987, d’importantes mesures d’austérité et de rationnement étaient prises par le gouvernement cubain. Quand, en décembre 1991 les Soviétiques cessèrent leurs livraisons de pétrole, le rationnement énergétique, les arrêts dans la production, la désorganisation du transport furent à leur comble. Les vautours américains comptent de plus en plus sur cette désorganisation économique pour enfin avoir raison de Castro, puisque depuis 30 ans la CIA et ses hommes de main de Miami n’y sont pas encore parvenus, et ce n’est pas faute d’avoir essayé.
L’économie cubaine est aussi marquée profondément par une capitalisation privée qui s’est développée tout au long des années 1970 et 1980, même après la suppression des marchés libres dans l’agriculture. Cette capitalisation privée fonctionne à partir du marché noir, mais aussi de certaines positions au sein de l’appareil gouvernemental. Selon un rapport cubain, elle serait le fait des secteur suivants : « Un groupe marginal ou antisocial… que la répression pénale tend à renforcer ; une couche d’employés et de fonctionnaires corrompus qui sont des délinquants “de fonction” ; une couche néo-bourgeoise formée par les intermédiaires, les commerçants illégaux et les restes de l’ancienne petite-bourgeoisie. » (Rapport de Fernando Barral, avril 1990)
Le 4e congrès du PC cubain
Ce quatrième congrès s’est tenu en octobre 1991. Le PC ne s’est constitué sous sa forme actuelle qu’en 1965. Il est le résultat de la fusion progressive du Mouvement du 26 juillet, du PSP (l’ancien parti communiste) et du directoire révolutionnaire. Son premier congrès en 1975 et le deuxième en 1980 avaient clairement aligné Cuba sur les positions du social-impérialisme après une décennie d’expérimentations plus ou moins fructueuses. Le troisième congrès en 1986 et la période qui suivit étaient à l’opposé marqués sceau de la rectification, c.-à-d. une distanciation prise avec la politique de Gorbatchev en URSS, ainsi qu’avec un certain nombre d’erreurs et de traits caractéristiques de la bureaucratie et de la planification économique cubaines. Cette période a donné l’impression d’un retour à une voie révolutionnaire plus affirmée. À travers le monde, d’aucuns ont recommencé à voir dans le castrisme une direction internationale méritante et fidèle à la révolution et au marxisme-léninisme. Un courant dans le mouvement ouvrier international comme celui du SWP américain (la Ligue communiste au Canada) a fortement mis à profit cette période pour appuyer et justifier son adhésion politique à la direction castriste.
Le congrès de 1991 devait toutefois passer à un tout autre type de « rectification », sans que manifestement la société cubaine n’ait été révolutionnarisée profondément par la rectification politique et idéologique de la période 1986-1991. Ce quatrième congrès s’est tenu dans la situation économique difficile que l’on sait. On peut dire que ce congrès fut celui de l’ouverture au capital étranger, de l’intégration latino-américaine et d’un certain nationalisme cubain. Le PCC se définit d’ailleurs maintenant comme le « Parti de la nation cubaine, martiste, marxiste et léniniste ».
Cuba mise maintenant sur le développement d’entreprises mixtes, au-delà du secteur touristique. Les capitaux étrangers sont sollicités pour relancer des entreprises inopérantes ou en manque de débouchés. Dans son discours d’ouverture, Fidel Castro a réaffirmé la « place de Cuba au sein de l’Amérique latine et dans son processus d’intégration, le bien-fondé de la politique de tourisme et d’ouverture aux investissements étrangers, mais en accordant une priorité à ceux qui sont en provenance des pays latino-américains ». (Correspondances internationales, n° 4-5, juillet 1992) La résolution du congrès portant sur la politique extérieure de Cuba fait d’ailleurs de cette intégration économique continentale la planche de salut pour Cuba, et de manière générale pour les pays du tiers-monde. Pour rendre possible cette intégration, la résolution dit qu’il faut « transformer la pauvreté de ses consommateurs en un véritable marché interne, ce qui ne pourra se faire qu’au travers de programmes de développement social, même si cela n’implique pas nécessairement le socialisme comme à Cuba ».
En dépit d’une rhétorique souvent radicale et ferme en apparence, la direction castriste est clairement engagée derrière l’option de l’intégration continentale. Ce qui signifie nécessairement, dans l’état actuel des choses, la transformation d’une partie du capital public en capital privé, étranger, et éventuellement national. De plus, cette option du régime cubain signifie aussi une diplomatie latino-américaniste, néfaste aux mouvements révolutionnaires et axée prioritairement sur la quête d’appuis auprès des bourgeoisies nationales du continent.
Le castrisme dans le mouvement communiste
Si le gouvernement américain, la CIA, les éléments les plus revanchards et les plus à droite parmi les exilés cubains à Miami, tentent d’une manière ou d’une autre d’activer la déstabilisation ou d’intervenir directement, il y a fort à parier que toute cette racaille réactionnaire n’aura pas l’appui du prolétariat à travers le monde. Le blocus vieux de plus de 30 ans est lui aussi fort impopulaire et ne trouve pas prise auprès des travailleurs et des travailleuses du monde entier. Cette solidarité que nous partageons n’est pas induite par le castrisme, ni par les perspectives politiques et soi-disant révolutionnaires du gouvernement cubain, mais par le courage et le juste droit du peuple de Cuba.
Dans les années 1960, la direction castriste a prétendu à un renouvellement du mouvement révolutionnaire. La théorisation de sa propre expérience guérillériste, sous la forme du « foquisme », lequel considérait en grande partie inapplicables les conceptions maoïstes de la guerre populaire, a multiplié les échecs partout sur le continent, jusqu’en Bolivie où Che Guevara lui-même a payé de sa personne la « non nécessité de toutes les conditions objectives ».
Puis, la direction castriste a soufflé vaillamment dans le dos du révisionnisme pour lui donner plus d’allant, plus de jeunesse, plus de prestige dans le tiers-monde et auprès des nouvelles générations de militants et militantes révolutionnaires.
Le castrisme n’est pas allé au bout de l’indépendance qu’il revendiquait dans le soutien aux processus révolutionnaires en Asie, en Afrique, et en Amérique latine y compris. Le soutien qu’il a accordé à la révolution au Nicaragua et au Salvador s’est progressivement transformé en un soutien à la capitulation.
En 1985, Castro disait : « Celui qui proposerait le modèle cubain pour impulser la révolution en Amérique latine serait un mauvais stratège. Nous avons mis en pièces l’armée et nous en avons créé une nouvelle. Mais le but est-il de mettre en pièces toutes les armées ? Dans beaucoup de pays du continent, des courants progressistes peuvent surgir des forces armées (…). Aujourd’hui, le front de lutte pour réaliser des changements sociaux doit être très large. Il doit inclure des chrétiens, des trotskistes, des ouvriers, des couches moyennes et même militaires. Le schéma nicaraguayen est adapté aux circonstances internationales actuelles, il est réaliste. Les Nicaraguayens contribuent à la lutte des autres peuples parce que s’ils se radicalisent, ils s’isolent, ils font peur, ils donnent des arguments à l’impérialisme, ils facilitent la tâche de Reagan (…). » (Jeannette Habel, Ruptures à Cuba, p. 158)
Ce n’est pas surprenant qu’aujourd’hui, méconnaissant la dynamique de la guerre populaire au Pérou, ou feignant de la méconnaître, et se refusant d’envisager l’impact de sa progression sur une grande partie de l’Amérique latine, le régime castriste préfère miser sur l’intégration économique continentale, qui n’est ni plus ni moins qu’une manière pour Cuba de se ménager en douceur une niche dans l’économie capitaliste du continent.
Ce n’est pas surprenant que dans l’édition internationale du Granma du 18 octobre [1992], quelque temps après l’arrestation de Abimael Guzman par le président péruvien Fujimori, on ait pu lire l’explication suivante des « vrais » problèmes du PCP : « Pourtant, les véritables racines du problème résident dans la futilité du mouvement lui-même, qui après 12 ans d’existence, a été incapable de proposer un véritable programme de reconstruction nationale. » (Notre traduction)
Avec d’autres partis de gauche au sein du Forum de Sao Paulo, le PC cubain s’emploie à trouver un créneau pour une nouvelle gauche, en espérant promouvoir dans les élections de la période 1993-1996, de tels programmes de développement et de reconstruction nationale. À tout prendre, le programme du PC du Pérou est plus prometteur pour les révolutionnaires que ce que Castro prépare à Cuba en fait de reconstruction nationale.
Patrice Legendre
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–> Paru en janvier 1993 dans le numéro 54 du journal Socialisme Maintenant !
–> Pour une autre référence maoïste sur la révolution cubaine, voir cet article publié à l’origine dans les pages du journal Revolution du RCP-USA, le 15 janvier 1976 : « Cuba, l’évaporation d’un mythe – Une révolution anti-impérialiste pour finir pantin du social-impérialisme » (traduction française réalisée par l’OCML Voie prolétarienne).