Nous présentons ici les notes d’une présentation faite par le porte-parole du PCR(co) lors de la soirée d’ouverture du Festival politique du Drapeau rouge, qui a eu lieu en juin 2004 à Montréal. Ex-militant du défunt Parti communiste ouvrier (PCO), le camarade s’exprimait dans le cadre d’un débat sur le bilan du mouvement marxiste-léniniste des années 1970, auquel ont également participé d’autres ancienNEs militantEs du PCO, du groupe En Lutte! et du PCC(ml). Les différents panelistes ont fermement réfuté les prétentions de certains, comme le cinéaste péquiste Marcel Simard et son compère Pierre Dubuc de L’aut’journal, qui prétendent que ce mouvement fut simplement une création de l’État fédéral pour écraser le mouvement indépendantiste québécois… Le porte-parole du PCR(co) s’est plus particulièrement attaché à tenter de tirer les leçons, tant positives que négatives, de cette importante période de l’histoire du mouvement communiste, du point de vue de ceux et celles qui souhaitent aujourd’hui relancer la lutte pour le socialisme et la révolution mondiale.
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Camarades et amiEs,
Il me fait plaisir de participer à cette sorte de « Ligue du vieux poêle » communiste organisée dans le cadre du Festival du Drapeau rouge…
Les intervenantEs précédentEs ont témoigné avec éloquence de la réalité de ce que fut le mouvement ML des années 70. Dans mon cas, je vais plutôt tenter de présenter les leçons qu’on peut en tirer dans le but de faire avancer notre combat.
Mon expérience personnelle est de toute façon beaucoup plus limitée que les intervenants et intervenante qui m’ont précédé et fut circonscrite pour l’essentiel au milieu étudiant.
Je me suis joint à la Ligue communiste (marxiste-léniniste) du Canada en 1977, le 8 mars plus précisément. J’ai donc participé à la création du PCO en 1979, que j’ai quitté en 1980 en raison de divergences idéologiques et politiques qui tenaient surtout aux conséquences du coup d’État qui a suivi la mort de Mao en 1976 en Chine.
Je n’acceptais tout simplement pas ce qui se passait sous la gouverne de Hua Guofeng : la condamnation de la « bande des Quatre », la réhabilitation de Deng Xiaoping, la remise en cause de la Révolution culturelle surtout, l’inclusion des États-Unis dans une sorte de « front uni contre l’ennemi principal soviétique », l’ouverture de la Chine au capital étranger, etc. Mon Parti, le PCO, défendait inconditionnellement la nouvelle direction chinoise, avec laquelle il entretenait d’ailleurs d’excellentes relations.
La critique du cours suivi par la Chine après la mort de Mao avait déjà été amorcée par d’autres – par les Albanais, notamment – mais elle me semblait insuffisante du fait qu’ils en étaient venus à rejeter Mao et ses immenses contributions.
L’élément déclencheur de mon départ du PCO fut la lecture d’un petit bouquin de Charles Bettelheim, qui m’a permis de me rendre compte que je n’étais pas le seul à penser que la Chine avait « changé de couleur »; j’avais en outre reçu avec beaucoup de joie la nouvelle de cette manifestation organisée par le RCP aux États-Unis à l’occasion de la visite de Deng en 1979, qui s’était alors fait brasser pas mal, et suite à laquelle Bob Avakian fut inculpé.
Éventuellement, j’ai tenté de me rapprocher du groupe En Lutte! en 1981-1982 (j’étais intéressé par le débat qu’ils avaient ouvert sur le bilan de l’expérience socialiste), mais c’était trop tard : EL! est mort à l’été 1982, quelques mois avant que le PCO se dissolve à son tour.
Après ça, il y a eu, comme vous le savez, la fondation du groupe Action socialiste en 1986, à laquelle j’ai participé, et enfin celle du PCR(co) il y a maintenant de cela trois ans.
Un débat pertinent
Il faut féliciter le Drapeau rouge d’avoir pris l’initiative d’organiser le débat de ce soir.
Beaucoup de choses ont été dites ou écrites au cours des derniers mois sur le mouvement ML des années 1970. En réalité, le film de Marcel Simard, tout comme le livre de Pierre Dubuc de L’aut’journal, n’amènent rien qui n’ait déjà été avancé sur le sujet – comme par exemple que les groupes ML étaient « sectaires », que leur mise sur pied découlait d’un « complot fédéraliste », que les militantEs qui s’y sont joints ont perdu « les meilleures années de leurs vies », etc.
Mais sans être paranoïaque outre mesure, ce n’est pas nécessairement innocent que cette bouillie anti-communiste ressorte à ce moment-ci précisément, alors qu’on assiste à une remontée des luttes de masse et à un renouveau du communisme à l’échelle internationale.
Plusieurs personnes ont répondu au film de Simard, et certaines l’ont fait au livre de Dubuc. Un de nos camarades a notamment signé un excellent article dans le Drapeau rouge suite à la sortie du film; plusieurs ancienNEs ML lui ont également répondu dans le cadre d’un dossier publié par le journal communautaire Droit de parole à Québec; certains « acteurs » qui témoignent dans le film, comme Françoise David, et qui ont pourtant renié le marxisme-léninisme, n’ont pu s’empêcher de dire qu’il s’agissait d’une œuvre totalement biaisée et qu’on y avait censuré une bonne partie de leurs témoignages. Chose certaine, pour qui a connu l’époque et l’a vécue en soutenant les aspirations qui étaient portées par le mouvement ML, le film de Simard, comme le livre de Dubuc, n’ont absolument aucune crédibilité.
Il faut bien voir d’où et de qui elles viennent, ces critiques à l’encontre des ML : elles viennent du PQ, dont Simard et Dubuc font partie, et de certains militantEs repentiEs qui ont réintégré le système et qui s’en sortent d’ailleurs plutôt bien. La classe politique et l’intelligentsia nationaliste québécoise sont remplis de ces anciens ML qui participent aujourd’hui à la gestion des affaires de la bourgeoisie : les Gilles Duceppe, Jean-François Lisée, Alain Saulnier (rédacteur en chef du Point à la SRC), les historiens Richard Desrosiers et Robert Comeau à l’UQAM, etc.
Ces gens-là n’ont aucune raison de se plaindre d’avoir dû se lever un peu tôt pour aller vendre des journaux pendant une couple d’années – même que leur expérience au sein du mouvement ML les a bien servis (ce qu’une Françoise David, pour une, a eu l’honnêteté d’avouer) : ils y ont appris à intervenir publiquement, à mener des batailles politiques, à s’organiser… Dommage qu’ils aient choisi de mettre tout ce bagage au service de la bourgeoisie!
Et personne (sauf rare exception) n’a été manipulé contre son gré dans ces groupes : en fait, s’il y a des gens qui pourraient légitimement se plaindre d’avoir été manipulés, ce ne sont pas ceux qui prennent le crachoir aujourd’hui pour se vanter d’avoir finalement « compris » et abandonné le communisme, mais les militants et militantes de la base, comme ceux et celles qui ont voté majoritairement contre la dissolution du PCO à son congrès de janvier 1983 (un vote dont la direction n’a même pas tenu compte); il y a eu, autant chez En Lutte! qu’au PCO, des prolétaires dont on pourrait certes comprendre qu’ils se soient sentis trahis au moment de la dissolution et qui auraient bien voulu continuer à lutter pour le socialisme. Mais ce n’est pas de ce côté-là que viennent les critiques qu’on entend actuellement.
Un mouvement légitime : on a raison de se révolter!
Ce qu’il faut dire, dans un premier temps, c’est que le mouvement ML fut un mouvement parfaitement légitime. Sa création fut le prolongement d’un mouvement réel, et non quelque chose qui fut importé, plaqué, voire imposé de l’extérieur, comme le prétend Pierre Dubuc avec ses thèses conspirationnistes. Le mouvement ML était bien en phase, comme on dit, avec le mouvement de masse qui existait à l’époque. Son développement fulgurant et les succès qu’il a rapidement remportés en témoignent de manière évidente.
À eux deux, En Lutte! et le PCO ont regroupé jusqu’à 5 000 membres et sympathisantEs, dont 80% au Québec.
Le PCO, pour un, avait plusieurs cellules à Montréal, mais il en avait aussi mis sur pied en Abitibi, à Hull, à Valleyfield, dans les Basses-Laurentides, à Sorel, Saint-Hyacinthe, Sherbrooke, Québec, Thetford Mines, sur la Côte-Nord (à Sept-Iles) et au Saguenay/Lac St-Jean (à Chicoutimi)… Seules la Beauce et la Gaspésie ont été « épargnées » par la vague.
Ailleurs au Canada, le PCO avait des organisations de base à Vancouver, Regina, Winnipeg, Toronto, Sudbury, dans les Maritimes (à Halifax, Moncton et sur la côte est du Nouveau-Brunswick parmi les pêcheurs), à Terre-Neuve… Seules l’Île du Prince-Edouard et l’Alberta (on se demande bien pourquoi!) n’ont pas connu d’activité organisée par le PCO.
Les deux organisations publiaient chacune un journal hebdomadaire, publié intégralement dans les deux langues : au plus fort du mouvement, leurs ventes combinées atteignaient 20 000 copies, à chaque semaine, dont 12 000 pour La Forge.
Les assemblées publiques organisées par le PCO et En Lutte! à Montréal regroupaient jusqu’à 3 000 personnes, que ce soit à l’occasion du 8 mars ou du 1er mai.
Dans les manifestations syndicales, on voyait souvent des contingents rouges réunissant de 1 000 à 1 500 personnes (le 1er mai 1977 à Montréal, les contingents ML ont regroupé 3 000 personnes, sur les 7 000 qui étaient présentes au total à la manifestation intersyndicale…).
Pour vous donner une idée plus précise de ce que ça signifiait, voyons ce que ça avait l’air en milieu étudiant. À l’automne 1978 et à Montréal uniquement, pas moins de 200 étudiantes et étudiants étaient organiséEs avec la Ligue dans les cégeps et universités. Au Cégep de Maisonneuve, où j’étudiais, nous avions un noyau dirigeant de trois personnes qui dirigeait un groupe d’étude spécifique au secteur professionnel et un comité de lectrices et de lecteurs formé de huit personnes supplémentaires. Il y avait donc trois organisations de base du Parti dans une seule et même institution (les camarades aujourd’hui impliquéEs en milieu étudiant ou à l’ASSÉ peuvent imaginer la force de frappe que cela pouvait représenter!).
Tout ça, il faut le souligner, s’est développé en trois ou quatre ans à peine (la Ligue avait été créée en novembre 1975 par quelques dizaines de militantEs, baséEs à Montréal uniquement) : on imagine sans peine comment une croissance aussi rapide a pu amener des problèmes en termes de manque de cadres dirigeantEs.
Bref, on peut voir que le mouvement ML a eu un impact réel et considérable; et contrairement à ce que prétend Dubuc, cet impact s’est fait sentir non seulement parmi la petite bourgeoisie et chez les étudiantEs, mais aussi dans la classe ouvrière et les couches populaires.
Le PCO, notamment, avait réussi à mettre sur pied un certain nombre de cellules d’entreprises, qui n’étaient pas seulement formées d’implantéEs, comme on voudrait nous le faire croire, et à construire des assises solides dans les quartiers et les milieux populaires.
Lorsque Dubuc affirme qu’En Lutte! et le PCO étaient essentiellement composés de petits bourgeois et qu’ils n’avaient aucun appui au sein du prolétariat, il ment effrontément! Les deux organisations étaient certes dirigées par des petits bourgeois. Mais toutes deux jouissaient néanmoins d’une influence et d’une base réelles parmi les masses; leur « style » très sérieux et « prolétarien » le reflétait d’ailleurs très bien.
Un mot sur la question nationale maintenant :
Comme je l’ai mentionné déjà, le membership d’En Lutte! et du PCO était concentré à 80% environ au Québec. Selon Dubuc, c’est là une autre preuve que leur existence tenait d’un complot fédéraliste visant à empêcher la réalisation de l’indépendance du Québec : étant donné la question nationale, la police fédérale devait surtout implanter ses agents au Québec…
Sauf que si on suit la logique de Dubuc, leur ligne anti-nationaliste et leur ferme opposition à l’indépendance du Québec auraient dû les isoler complètement, alors qu’au contraire, c’est là où ils ont rallié le plus de gens!
Mon hypothèse, c’est que c’est précisément grâce à cette ligne que ça a fonctionné et que le mouvement s’est développé avec autant de force.
La rupture avec le PQ et son projet, proposée par le mouvement ML, arrivait à point; elle correspondait à un sentiment réel parmi la gauche et les travailleurs et travailleuses les plus militantEs, qui découlait de leur propre expérience de 10 à 15 ans de lutte – y compris de lutte nationale.
Elle correspondait aussi à l’évolution de la question nationale elle-même : à savoir que la période historique qui avait été marquée surtout par la résistance à l’oppression nationale (dont le contenu avait été principalement positif pour les masses populaires) avait dorénavant cédé la place à la promotion d’un projet d’émancipation bien précis qui était celui de la bourgeoisie nationale (ce que la création du PQ symbolisait très bien).
Le fameux débat entre les felquistes Pierre Vallières et Charles Gagnon, dont Dubuc parle abondamment dans son bouquin, symbolisait très clairement cette fracture entre le projet national désormais dirigé et monopolisé par la bourgeoisie et le projet social révolutionnaire, qui s’est cristallisé autour du mouvement ML. La majorité des militantEs, on le sait, ont suivi Gagnon, tandis que Vallières s’est retrouvé seul et isolé au sein du PQ.
En fait, j’irais même jusqu’à dire que sans cette rupture avec le projet nationaliste de la bourgeoisie québécoise, le mouvement ML n’aurait jamais connu un tel développement (les trotskistes, qui sur papier avançaient eux aussi un projet révolutionnaire mais qui ont continué à soutenir l’indépendance et à naviguer autour du PQ, sont d’ailleurs loin d’avoir connu le même niveau de développement que les ML).
L’affirmation du mouvement marxiste-léniniste représenta la victoire du point de vue de classe sur le point de vue nationaliste.
Pour comprendre le mouvement ML des années 1970, il faut également revenir sur le contexte international de l’époque.
Au cours des années 1960, le monde avait connu l’éclosion et la victoire des grands mouvements de décolonisation. Au Vietnam, le peuple luttait avec force contre la guerre impérialiste, sous la direction du Parti communiste. Mao et les communistes chinois avaient lancé la grande lutte contre le révisionnisme soviétique au début des années 1960; en 1966, la Grande révolution culturelle prolétarienne en Chine était venue redonner un élan (et quel élan!) au mouvement révolutionnaire.
La révolution semblait donc plus que jamais possible; elle était de nouveau une réalité vivante pour les peuples du monde. Les victoires et les avancées réalisées en Chine et ailleurs étaient la preuve qu’on pouvait aller de l’avant; que le processus révolutionnaire n’était pas arrêté comme on l’avait cru après la Seconde Guerre mondiale. Le mouvement révolutionnaire reprenait vie, il se poursuivait, et il était même désormais encore meilleur qu’avant, car plus avancé et fort des expériences antérieures.
C’est de ce « meilleur » qu’est né le mouvement ML des années 1970. Et c’est ce « meilleur » qu’il représente toujours à nos yeux, lorsque nous nous y référons. Nous, du PCR(co), assumons pleinement notre continuité avec lui.
Le mouvement ML des années 70 fut tellement mieux, et plus fort que le révisionnisme et le réformisme. Il fut tellement mieux que le trotskisme confus et louvoyant.
Nous n’avons aucune honte à proclamer que nous sommes les héritiers d’En Lutte!, du PCO, voire même du PCC(ML) (même si dans ce dernier cas, cela fait un peu étrange, étant donné qu’il existe toujours!). Le mouvement ML des années 70 a repris le drapeau rouge des mains des révisionnistes, qui l’avaient souillé et qui en avaient fait un symbole de capitulation. Ce drapeau rouge, aujourd’hui nous le brandissons haut et fort à notre tour, avec fierté.
Un héritage qu’on doit assimiler
Cet héritage, nous devons toutefois l’assimiler correctement, si on veut qu’il serve à bon escient. Il s’agit donc d’en retenir le positif et de se l’approprier, et de rejeter le négatif qu’il comporte.
On ne doit pas en rester à ce qu’il fut; il ne s’agit pas de tenter de recréer ou de copier bêtement ce qui a été fait : après tout, le mouvement a failli et s’est dispersé, et on ne peut toujours bien pas se fixer ça comme objectif…
On a attribué la liquidation du mouvement ML (qui s’est produite en 1982-1983 au Canada) à bien des facteurs : Dubuc et Simard, on le sait, prétendent qu’une fois le référendum de 1980 passé et le projet péquiste défait, la job était faite et que les fédéralistes l’ont tout simplement dissous… L’article auquel je faisais référence tantôt qu’un autre « camarade vétéran » a écrit pour le Drapeau rouge a bien répondu à cet argument, en rappelant que l’effondrement du mouvement ML fut un phénomène international, qui s’est produit presque partout dans le monde à peu près au même moment (la GRC n’a certainement pu avoir le bras aussi long…).
Ainsi donc, on a mentionné, en vrac, le rôle joué par la question nationale dans le développement de la « crise »; la place des femmes dans ces organisations; celle des prolétaires (vs les petits bourgeois et les intellectuels qui y étaient dominants); les déficiences organisationnelles qui les ont marquées (primauté du centralisme sur la démocratie, rythme militant épuisant, etc.). Toutes ces questions ont joué un rôle, certes, dans l’apparition et l’évolution de la « crise » du mouvement ML, mais elles n’en sont pas la cause : elles ont pu accélérer ou retarder certains débats, mais elles n’expliquent pas ce pourquoi il s’est effondré.
Pour comprendre ce qui est arrivé et en tirer les leçons, il faut revenir à ce qui est bien plus fondamental, et qui fut aussi le problème de tout le mouvement ML – et pas juste au Canada – à savoir ses faiblesses idéologiques.
Le mouvement ML était né, on l’a vu, de la Grande révolution culturelle prolétarienne, de la lutte anti-révisionniste, d’une volonté ferme de défendre la révolution, et sans doute de la faire aussi; mais il n’avait pas encore réussi (faute de temps peut-être?) à assimiler vraiment toute l’expérience de cette lutte, à forger et à se doter d’une conception générale qui l’eut « ramassée » en un tout cohérent.
La mort de Mao en septembre 1976 et la défaite qui s’en est suivie en Chine (qui est devenue évidente en 1978-1979) ont porté un coup fatal au mouvement ML. C’est à partir de là que tout s’est effondré.
Quand je dis que le mouvement ML n’avait pas assimilé toute l’expérience du mouvement communiste international et des grandes luttes des années 1960, ça peut avoir l’étrange dans la mesure où sur papier, on défendait très clairement Mao et la révolution; il est vrai qu’on l’étudiait aussi, bien que peut-être un peu superficiellement : mais comment, sinon, expliquer que l’immense majorité du mouvement n’ait pas su faire face au revers subi par la révolution en Chine et répondre au défi auquel il était dès lors confronté?
D’autant plus que c’était là un défi et une possibilité que Mao lui-même avait évoquée ouvertement et qu’il avait enjoint le mouvement de relever : « Si la direction de la Chine est usurpée par les révisionnistes dans le futur, les marxistes-léninistes de tous les pays devront les dénoncer, lutter implacablement contre eux et aider les masses chinoises dans leur combat contre les révisionnistes », avait-il notamment déclaré.
Et à ce moment crucial pour l’avenir de la révolution, qu’a fait le mouvement ML?
Une partie du mouvement a justifié l’injustifiable et suivi les révisionnistes chinois (ce fut le cas du PCO). Éventuellement, la plupart de ces organisations se sont liquidées ou ont fini par remettre en question les acquis de la lutte anti-révisionniste, comme le PTB en Belgique et les anciens militants du PCO qui dirigent aujourd’hui le vieux PC révisionniste au Québec.
Une autre partie du mouvement ML s’est quant à elle tournée vers l’Albanie, comme le PCC(ML) et En Lutte! (ce dernier ayant eu beaucoup moins de succès, toutefois); en adoptant les thèses d’Enver Hodja et du Parti du travail d’Albanie, ces organisations ont été amenées à mettre de côté les acquis que la révolution chinoise et le mouvement communiste international qui s’en inspirait avaient commencé à faire ressortir, en particulier quant à l’importance centrale de la stratégie militaire (la guerre populaire prolongée) et à la critique de Staline et des insuffisances des conceptions véhiculées par la Troisième Internationale. Ces organisations ont fini soit par se dissoudre, comme En Lutte!, soit par se complaire dans une pratique réformiste, légaliste et routinière, bien loin de toute conception révolutionnaire.
Mais surtout, beaucoup, beaucoup d’organisations et de militantes et militants ont abandonné et déserté le mouvement, sous le poids du découragement. Et ce phénomène fut encore plus marqué dans les pays impérialistes.
Mao et la révolution chinoise avaient ouvert la voie et défini un « modèle » révolutionnaire pour les pays du tiers-monde. Dans les pays impérialistes, on s’en est réclamé, on a été enthousiasmé par les victoires qui avaient été remportées là-bas, mais on ne s’en est pas vraiment emparé, dans le sens où on ne l’a pas assimilé pour l’appliquer dans les conditions concrètes qu’on y trouve (en ce qu’elles diffèrent de celles de la Chine et de la grande majorité des pays du tiers-monde).
Tout en se solidarisant avec les expériences révolutionnaires les plus avancées, on a continué, simplement, à suivre les schémas qui avaient été tracés par la Troisième Internationale et que les partis révisionnistes – les anciens partis communistes – avaient suivis eux aussi, sans trop se poser de questions.
Le mouvement ML est resté totalement enfoncé dans la légalité. Il a fait beaucoup d’éducation, de l’agitation-propagande, par la diffusion de journaux, de revues, et par des interventions publiques multiples. Il est intervenu dans les luttes, dans les organisations de masse, les syndicats. Il y a d’ailleurs conquis des postes de direction (plusieurs, en fait). Il s’est présenté aux élections aussi, dans bien des cas, et toujours dans le but « d’influencer l’opinion publique » (sauf heureuse exception, comme celle d’En Lutte! qui est toujours resté loin de l’électoralisme).
Et pendant ce temps, globalement, on n’a pas fait de réflexion – ou sinon très peu – sur la révolution elle-même, sur la stratégie à déployer pour conquérir le pouvoir (ce qui est pourtant l’essence même de toute révolution), sur le processus qui allait y mener. Cela, même si on croyait la révolution très proche (En Lutte! disait même qu’elle était « déjà commencée »).
La révolution allait arriver, inévitablement; il suffisait donc d’être « prêt »; et se préparer, c’était essentiellement faire du travail légal, en attendant – ce qui était totalement inadéquat, la préparation à la révolution ne pouvant se limiter au seul travail légal.
Le mouvement ML, à cet égard, n’avait pas rompu avec le révisionnisme; il n’était pas si différent de lui. (Au demeurant, la critique du révisionnisme faite par les organisations ML fut souvent réduite à la critique des agissements de l’Union soviétique, sur telle ou telle question; en Chine, ce n’est pourtant pas sur ce terrain que Mao l’avait menée, lors du « grand débat » de 1963-1964.)
Pire, lorsque la question s’est posée et que des forces, au sein comme à l’extérieur du mouvement, ont tenté de résoudre les questions de stratégie et se sont avancées sur ce terrain, le mouvement ML s’est refusé à assimiler leurs expériences, les rejetant en bloc. Voici, par exemple, ce que le journal La Forge écrivait à propos des Brigades rouges : « Les Brigades rouges, ces fanatiques… totalement coupés des masses [qui commettent des] actes de terreur démentiels et isolés… contre-révolutionnaires… un mitraillage sanglant a eu lieu, au cours duquel cinq policiers ont été tués… ce n’est pas une bande de fanatiques qui mettra fin à la misère de l’exploitation capitaliste… »
Quand j’ai évoqué plus tôt comment le mouvement avait réagi (ou n’avait pas réagi) au coup d’État en Chine (les « pro-Deng Xiaoping », les pro-Albanais, etc.), j’ai délibérément passé par-dessus l’autre partie du mouvement – une très petite partie, peut-être deux douzaines de partis et organisations, principalement de pays du tiers-monde, ainsi que le RCP des États-Unis, qui, elles, ont défendu l’héritage de Mao, de la lutte anti-révisionniste et de la Révolution culturelle. Ces organisations se sont regroupées et ont tenu une première conférence internationale en 1981; puis une deuxième en 1984, qui a donné naissance au MRI – le Mouvement révolutionnaire internationaliste – dont on célèbre ces jours-ci le 20e anniversaire.
À un moment où le mouvement communiste international subissait de graves reculs et où la bourgeoisie triomphait en proclamant la « fin de l’histoire », le MRI a entrepris le travail d’assimilation de l’expérience du passé et il a atteint un niveau de compréhension bien supérieur, dont le maoïsme forme aujourd’hui la synthèse. Au Pérou, dès 1980, le PCP avait amorcé la guerre populaire; tout au long des années 1980 et jusqu’au début des années 1990, il a contredit de manière vivante les prétentions des impérialistes et maintenu vivant l’espoir de la révolution et du communisme. Le PCP et la guerre populaire qu’il a dirigée ont joué un rôle central pour permettre au MRI de reconnaître et définir le maoïsme et de s’en emparer. Le flambeau de la révolution et de la guerre populaire est repris en ce moment dans d’autres pays, notamment au Népal, où le PCN(m) dirige une révolution héroïque.
D’autres partis ont persévéré sur la voie de la révolution dans des pays du tiers-monde. Ce fut le cas notamment en Inde, et également aux Philippines où le Parti communiste a entrepris de rectifier ses erreurs antérieures et de se consolider idéologiquement autour du maoïsme. Dans ces deux pays, la révolution se développe impétueusement et remporte régulièrement de nouveaux succès.
Les communistes qui dirigeront la révolution au XXIe siècle doivent énormément au MRI. Samedi, lors de la soirée de clôture du Festival, nous aurons l’occasion de célébrer son 20e anniversaire. On pourra entendre des militantes et militants de pays du tiers-monde qui nous parleront de leurs combats. Je vous invite à y participer massivement.
Aujourd’hui, le mouvement communiste international est plus fort et plus uni qu’il ne l’a jamais été depuis 30 ans. Des révolutions sont en marche, de nouvelles révolutions débutent et progressent rapidement. Nous devons nous inscrire à plein dans ce processus et faire ce que nos prédécesseurs n’ont pas fait, c.-à-d. dégager la voie de la révolution ici au Canada et dans l’ensemble des pays impérialistes.
En terminant, cela fait 27 ans déjà que je me suis joint au mouvement communiste et j’ai l’impression, plus que jamais, que l’avenir nous appartient. L’avenir nous appartient, pour un pessimiste, cela pourrait vouloir dire que tout est encore à faire, dans le sens où on pourrait se dire (non sans raison, parfois) que cout’donc, on n’a pas accompli grand chose jusqu’à maintenant!
Mais il y a une autre façon de voir les choses, qui est celle de l’optimisme révolutionnaire, et que je vous invite à adopter : l’avenir nous appartient, ça ne veut pas seulement dire que tout est encore à faire, ça veut dire surtout que tout est encore possible!
Et tout est encore possible, ça veut aussi dire qu’il ne faut fermer aucune porte (contrairement à ce que font les dogmatistes), et qu’il faut au contraire saisir toutes les opportunités pour les défoncer; il s’agit non pas de les ouvrir toutes à la fois et de s’y engouffrer comme des poules sans tête à la manière de certains anarchistes. Il nous faut une idéologie, une stratégie, un plan, et faire comme Marx, Lénine, Mao et d’autres l’ont fait avant nous, c.-à-d. se servir de la théorie pour développer une pratique révolutionnaire conséquente et en retour, constamment, bonifier notre théorie. Ainsi, nous apporterons notre modeste contribution au grand mouvement de la révolution prolétarienne mondiale.
Le 3 juin 2004